Travailler plus et gagner moins

La droite avance au pas de charge pour faire adopter le projet gouvernemental sur les accords de compétitivité. Objectif : bouleverser un droit du travail protecteur des salariés.

Thierry Brun  • 9 février 2012 abonné·es

La droite et le gouvernement ont décidé d’aller vite pour inscrire dans le marbre législatif le principe des accords de « compétitivité-emploi », mesure phare de la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il s’agit de moduler le temps de travail en fonction de l’activité de l’entreprise et de revoir souvent les salaires à la baisse, en échange d’une garantie de préservation de l’emploi. Les syndicats jugent insuffisant le délai laissé par Nicolas Sarkozy pour réformer des règles qui concernent la durée du temps de travail, le salaire, l’encadrement du contrat de travail.

La CGT et FO sont opposées à ces accords de flexibilité salués par le Medef comme une « opportunité » dans « le contexte économique actuel » dégradé. Sans attendre l’issue de la négociation interprofessionnelle, qui doit ­débuter le 17 février et s’achever dans deux mois, les députés de la droite majoritaire ont légiféré en catimini sur cette question. Ils ont adopté le 31 janvier une proposition de loi fourre-tout qui vise à alléger les démarches administratives des entreprises [^2]. L’article 40, sur les modulations du temps de travail, « ne se contente pas de simplifier le droit, il le modifie dans un sens extrêmement défavorable au salarié » , estime André Chassaigne, député PCF.

« Cet article prend naturellement une tout autre ampleur politique, compte tenu des propos du président de la République » sur l’instauration de ces accords de compétitivité-emploi, « dont l’objectif serait évidemment de toucher aux conditions substantielles du contrat de travail » , souligne Alain Vidalies, député PS. Ce qu’a confirmé le 31 janvier Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé des PME, dans un hémicycle quasi désert : « Je fais bien entendu le lien avec l’intervention du Président de la République dimanche soir [il s’agit de l’intervention télévisée du 29 janvier]. Il est évident que l’esprit est le même. C’était d’ailleurs l’esprit de ce débat lors de la première lecture » de la proposition de loi, en octobre 2011. Au sein de l’UMP, le principe d’accords de compétitivité était déjà dans les tuyaux depuis plusieurs mois.

L’opposition des syndicats

Dans l’esprit du locataire de ­l’Élysée, ces accords permettront de « décider d’un délai de travail » , de « décider de privilégier l’emploi sur le salaire ou le salaire sur l’emploi » , « si une majorité de salariés se met d’accord dans une entreprise » . Mais toucher à la durée du travail ou au salaire constitue une modification substantielle du contrat de travail, qui requiert l’avis de chaque salarié. « La nouveauté, c’est qu’un salarié qui pouvait exiger le respect de son contrat de travail n’aura plus aucun recours ni sur ses horaires ni sur son salaire. La durée du temps de travail deviendrait virtuelle » , selon la CGT.
Alain Vidalies prend l’exemple d’une entreprise qui demande « à une femme qui vit seule et met deux heures pour rentrer chez elle si elle veut bien moduler son temps de travail. Que faire ? Une décision collective de modulation du temps de travail a été prise mais certaines personnes ne pourront s’y plier » . Les organisations syndicales y voient dans la grande majorité des cas un chantage à l’emploi.

Une revendication du Medef

Les conditions pour mettre en place ces accords voulus par Nicolas Sarkozy s’inspirent d’une revendication patronale naguère nommée « flexisécurité », en référence au modèle des pays d’Europe du Nord. Conditions qui se rapprochent du modèle anglo-saxon dit d’opt-out, qui permet aux employeurs, notamment en Grande-Bretagne, ­d’imposer à un salarié de dépasser la limite de 48 heures hebdomadaires, fixée par la directive européenne sur le temps de travail.

Cette notion de flexisécurité et de remise en cause de la durée du travail à 35 heures figure dans les douze propositions du Groupe des fédérations industrielles, publiées en octobre 2011 dans la perspective de l’élection présidentielle. En 2004, dans son rapport intitulé Pour un code du travail plus efficace, commandé par François Fillon, alors ministre du Travail, Michel de Virville proposait dans ses 50 préconisations d’autoriser des « accords d’entreprise » prmettant aux employeurs de changer unilatéralement un contrat de travail, quels que soient le motif et l’ampleur de la modification.
En 2008, Xavier Bertrand, ministre du Travail, passera partiellement à l’acte avec la loi de modernisation du marché du travail. Celle-ci introduit le dispositif de rupture conventionnelle (à l’amiable), qui crée une brèche dans le droit du travail, selon des formes préconisées par le Medef. Cette loi a aussi inscrit dans le marbre une logique selon laquelle la détermination de la durée du temps de travail relève d’accords dans l’entreprise. Avec un seul et même objectif : réduire au maximum la possibilité pour les salariés de saisir le juge en cas de modification du contrat.

Un bilan très mitigé

Limités en raison de l’impossibilité d’échapper au droit du travail, des accords d’entreprise proches de ce modèle ont cependant été conclus dans certaines entreprises. Le gouvernement met en avant les entreprises où ce fut une réussite, mais beaucoup d’autres se sont traduits par un échec. La signature de tels accords n’a pas permis de sauvegarder les emplois dans le cas de Bosch (Rhône), Continental (Oise), Osram (Bas-Rhin), la Fonderie du Poitou (Vienne), Peugeot Scooters (Haut-Rhin).

[^2]: Proposition de loi du député UMP Jean-Luc Warsmann relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

Travail
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