Daniel Schneidermann : « Entretenir le feuilleton »

Daniel Schneidermann dénonce la responsabilité des médias dans la surexposition du drame, un fait divers tragique mais non représentatif.

Jean-Claude Renard  • 29 mars 2012 abonné·es

Le directeur du site Arrêts sur images ne pense pas que l’affaire de Toulouse aura des répercussions importantes sur la campagne électorale. En revanche, il pointe l’influence des chaînes d’information continue sur l’opinion.

Chaque élection présidentielle possède son fait divers retentissant. Avec certains impacts. Cela ne démontre-t-il pas une certaine fragilité de la démocratie devant la force de l’émotion ?

Daniel Schneidermann: Pour Toulouse, il est trop tôt pour le dire. Mais je ne
suis pas persuadé que cela ait un impact considérable sur la campagne. On est très loin du premier tour. Ces vagues d’émotion, par définition, sont éphémères. Il existe tout de même une grande différence avec l’agression de « Papy Voise » en 2002. C’était l’avant-veille du premier tour et, surtout, ce fait venait couronner tout un processus sur l’insécurité, entamé avec le discours de Jacques Chirac le 14 juillet 2001. On avait donc une préparation des esprits, un fil continu qui ne s’était pas arrêté jusqu’à l’élection. L’affaire a été le dernier coup de timbale, avec un effet sur le vote qui me paraît évident. Aujourd’hui, on est plutôt sur la crise économique, le chômage, le pouvoir d’achat. La psychose Al-Qaïda est très loin. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que cet acte isolé puisse imprimer les esprits en profondeur.

La tuerie de Toulouse n’a-t-elle pas été une occasion idéale pour Nicolas Sarkozy de suspendre la campagne électorale pour s’afficher seul devant les caméras ?

Qu’il ait surjoué, au rythme de deux allocutions par jour, la carte du Président qui protège, c’est évident ! Mais je ne suis pas sûr que ça fonctionne.

Les médias se sont déplacés en nombre pour livrer finalement une information qui tourne en rond. On peut parler de surmédiatisation. Est-ce inévitable ?

On peut l’éviter. Rien n’oblige les chaînes d’info continue à nous proposer ce film pendant des jours. C’est insensé ! Sans doute la concurrence joue-t-elle. BFM TV donne le la, i>télé et LCI suivent. Il existe probablement chez certains journalistes une sidération sincère devant ce tueur aveugle. Mais il existe un vrai phénomène économique : BFM a conquis la première place de l’info continue en jouant le « live ». Dès qu’il y a un coup, quel qu’il soit, la chaîne se précipite. Au détriment des sujets plus construits, des talks des éditorialistes. Et de fait, ça marche ! Cette campagne est d’ailleurs beaucoup faite par les chaînes d’info continue, qui sont devenues le média influent, avec Internet.

N’est-ce pas accorder trop d’importance aux chaînes d’info continue ? Tous les foyers ne sont pas devant BFM TV…

Ce n’est pas une influence directe. Bien évidemment, la France entière ne regarde pas BFM toute la journée. Mais c’est une influence indirecte dans la mesure où les états-majors politiques la regardent en boucle, comme tous les autres médias. Dans n’importe quelle rédaction, à Libé, ou au Point, à TF1 ou à France 2, toutes les télés sont allumées, avec BFM TV. Dans le hall du QG de Sarkozy, il y a aussi une grande télé avec BFM TV en boucle. Il y a en effet une influence indirecte, à dissocier de l’impact direct en termes de téléspectateurs.

Le système médiatique ne rend-il pas service au pouvoir en place, quel qu’il soit ?

On peut le penser. Mais là, il peut y avoir un effet Le Pen contre Sarkozy. Il n’est pas sûr que les électeurs qui balancent entre l’un et l’autre se reportent sur le second, puisque c’est bien cet électorat qui est visé. L’électorat de Le Pen est très exaspéré par Sarkozy, et Marine Le Pen a déjà récupéré le drame en évoquant la peine de mort et la peine de sûreté.

Les médias participent-ils de la récupération politique ?

Si les chaînes d’info continue n’avaient pas le pouvoir qu’elles ont, l’expression politique ne prendrait sans doute pas la forme qu’elle prend. Pourquoi Sarkozy crée-t-il trois événements par jour, pourquoi passe-t-il son temps dans les avions pendant trois jours ? C’est pour donner les images au « 20 heures » et créer de l’événement pour les chaînes d’info continue. Il faut entretenir le feuilleton.

La première responsabilité est bien celle des médias. Il est insensé de voir que toute l’actualité s’est arrêtée pendant quelques jours, alors qu’il s’agit d’un fait divers, certes tragique, impressionnant, mais qui reste un fait divers. On peut parfois parler d’un fait divers représentatif, qui correspond à une tendance. L’affaire Kerviel en est un exemple très significatif, qui exprime l’époque. Là, ce n’est même pas le cas, c’est un fait divers qui n’est en rien représentatif, commis par un détraqué ayant séjourné en Afghanistan.

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Après Toulouse, la récupération
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