« Une prime aux petits partis »

Sylvain Parasie travaille sur les implications sociales et politiques des innovations dans la presse et les médias. Son regard sur le web.

Pauline Graulle  • 8 mars 2012 abonné·es

Illustration - « Une prime aux petits partis »

La présidentielle de 2012 marque-t-elle un tournant dans l’usage d’Internet par le champ politique ?

Sylvain Parasie : Le vrai tournant a eu lieu lors du Traité constitutionnel européen (TCE), en 2005. Les médias dominants étaient majoritairement pour le « oui », le monde militant a mené une contre-campagne passionnée sur le web pour le « non ». Lors de la présidentielle de 2007, Internet s’est imposé comme média de communication politique à part entière. Ségolène Royal s’est fait accompagner par la Netscouade pour sa campagne web collaborative qui collait bien avec son projet de démocratie participative. On a vu l’explosion des blogs politiques et des vidéos. À la fin de la campagne, des sites d’info indépendants comme Rue89 – qui a révélé que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté – ont vu le jour.

En 2012, ce qui change, c’est l’apparition des réseaux sociaux – un tiers des Français sont inscrits sur Facebook –, mais aussi les usages d’Internet. Les politiques et les militants s’en sont emparés de manière plus professionnelle, et Internet est devenu la troisième source d’info après la TV et la radio, et la deuxième chez les moins de 35 ans – même si la télé reste largement en tête. Les réseaux sociaux constituent surtout un média intermédiaire pour faire remonter l’info dans les grands médias. Par exemple, les propos tenus par Claude Guéant devant les militants de l’UNI ont été tweetés en live par les spectateurs, ce qui a déclenché les tweets scandalisés d’Harlem Désir. C’est seulement dans un deuxième temps que l’AFP a publié une dépêche sur les propos du ministre de l’Intérieur.

Comment les journalistes voient-ils leur travail évoluer du fait d’Internet ?

Au quotidien, ils font de la veille sur Twitter et diffusent leur propre info. La pratique du personal branding* se développe également car elle permet, aux jeunes journalistes notamment, de se faire repérer et d’améliorer leur employabilité dans un secteur professionnel où le travail est instable. Concernant la production de l’information, et contrairement à ce que certains ont pu affirmer, le « off » ne disparaît pas avec Twitter.
En revanche, les hommes politiques, dans la mesure où ils sont suivis par un grand nombre de personnes, peuvent utiliser Twitter comme moyen de pression sur les journalistes. Quand Nadine Morano tweete un article en complimentant ou en critiquant publiquement son auteur, cela peut desservir le journaliste.

La présence sur les réseaux sociaux rend-elle les politiques plus sympathiques ? Je pense, par exemple, à Éric Besson, qui parle de foot ou du couscous qu’il a mangé sur Twitter, ce qui a tendance à le rendre plus « humain »…

Les politiques tweetent dans la lignée du personnage public qu’ils sont – on a du mal à imaginer François Fillon tweeter des commentaires de son salon ! Mais, effectivement, Twitter s’inscrit dans la mouvance des émissions télé à la « Ardisson », où les hommes politiques parlent de leur vie privée. En sociologie, on appelle cela l’« informalisation » : un apparent relâchement de soi qui est dans le fond très contrôlé.

En quoi le développement d’une communication politique sur le web a-t-il un impact sur la politique réelle ? Par exemple, la campagne sur Internet pour le « non » au TCE a entraîné un refus dans les urnes…

C’est une bonne question à laquelle on n’a pas de réponse générale. Pour le TCE, on ne peut pas savoir si la relation de causalité a été aussi simple… Reste qu’Internet est un territoire qui donne la prime aux « marginaux » et aux partis moins structurés. Le Front national ou le Front de gauche l’utilisent beaucoup en ce moment. Le FN essaie en particulier d’y fédérer une extrême droite très éclatée.

Les petites formations parviennent mieux que les formations les plus structurées à être dans des interventions authentiques qui correspondent à l’esprit d’Internet. La Coopol, le réseau social lancé par le PS, a ainsi du mal à recruter au-delà des cercles militants. Internet conduira-t-il pour autant à une recomposition du paysage politique réel ? Cela, nul ne le sait.

Publié dans le dossier
La campagne 2.0
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