Maudit costume

Aux Bouffes du Nord, un conte fantastique venu des townships. Par un Peter Brook retrouvé.

Gilles Costaz  • 19 avril 2012 abonné·es

Remplacé par Olivier Mantéi et Olivier Poubelle, Peter Brook ne dirige plus les Bouffes du Nord. Mais, dans cette salle cassée, dédorée, griffée, qu’il a maintenue dans son apparence de ruine sauvegardée, il a toujours son couvert. Il y revient en reprenant The Suit (le Costume) des auteurs sud-africains Can Themba, Mothobi Mutloatse et Barney Simon.

Bien que l’accueil en ait été très favorable, la précédente mise en scène de Brook, la Flûte enchantée de Mozart, ne nous avait pas convaincu : cette réduction avait quelque chose d’un appauvrissement, alors que le génie du tenant de « l’espace vide » est de tirer du rien et du minimal une extraordinaire richesse. Le grand Brook, heureusement, on le retrouve avec cette reprise qui n’en est pas une, puisque le spectacle n’est pas exactement celui qui avait été donné en 1999. À l’époque, c’était une version en français. C’est aujourd’hui une version en anglais surtitrée, avec des interprètes différents. Modestement, Brook signe la mise en scène en compagnie de deux collaborateurs, Marie-Hélène Estienne et le compositeur Franck Krawczyk.

L’occasion nous est donnée, d’abord, de saluer un écrivain peu connu, ou plutôt sa mémoire. Car Can Themba est mort à 43 ans en 1967. Il est l’auteur principal du spectacle puisque les deux autres signataires sont les adaptateurs d’un récit de Themba. Celui-ci avait fait ses débuts dans le journalisme d’investigation en pleine époque de l’apartheid. Bien qu’il ait pu enseigner, il fut persécuté et interdit. Il s’exila au Swaziland, pour y mourir. Comme le rapporte Brook, il avait dit à sa femme après avoir écrit le Costume : « Cela va changer notre vie, et faire notre fortune. » Cette fortune, il ne la connut jamais. Ses livres parurent en Afrique du Sud une quinzaine d’années après sa mort. C’est de Johannesburg que partit l’idée de transposer le Costume. Londres, Paris et d’autres capitales firent différents spectacles à partir de ce texte.

Un homme rentre chez lui à un moment où il devrait être à son travail. Il découvre que sa femme est au lit dans les bras d’un amant. Choqué, il se cache dans un placard. Comprenant qu’il a été surpris, l’amant s’enfuit quasiment nu, laissant son costume dans l’appartement. Le mari apparaît et, souriant, demande à son épouse de prendre soin du costume qu’il présente comme une personne vivante : il faut le soigner, lui parler, le nourrir… La femme adultère est prise dans une vie d’esclave à chaque instant reliée à un fantôme. En mourra-t-elle ? Le mari saura-t-il pardonner ?

Sur scène, un petit tapis à carreaux est l’aire de jeu principale, entourée de trois portants (ces cadres auxquels on suspend des vêtements). On y place, on y bouge ou on en retire quelques chaises de couleurs vives. C’est tout. Les trois principaux acteurs, William Nadylam (grand comédien qui fut Hamlet sous la direction de Brook), Nonhlanhla Kheswa et Jared McNeill ont l’art de faire surgir et s’en aller les sentiments les plus immédiats. La mise en scène libère les interprètes et les musiciens, Arthur Astier, Raphaël Chambouvet, David Dupuis, de toute pesanteur dramatique.

Ce conte fantastique et cruel révèle sa force dans la gaîté. Les musiciens se déguisent, on fait même entrer des spectateurs dans la danse. Cela fait un peu spectacle amateur, mais au niveau du sublime ! Ce grand moment parle aussi, en filigrane, du temps des terribles townships sous l’apartheid – dont vient la bouleversante chanteuse-actrice Nonhlanhla Kheswa.

Culture
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