Mélenchon bouscule la gauche

La montée des intentions de vote en faveur du « troisième homme » contrarie socialistes et écologistes. Qui multiplient les tirs de barrage contre ce concurrent inattendu.

Michel Soudais  • 5 avril 2012 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon serait-il devenu l’homme à abattre ? Le nouveau statut du candidat du Front de gauche, désormais crédité de 13 à 15 % des intentions de vote et présenté comme le possible « troisième homme » dans plusieurs sondages, lui vaut d’être l’objet de critiques multiples. La présidente du Medef, Laurence Parisot, le décrit en « héritier d’une forme de Terreur » ; Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy, assure qu’il « promet la faillite », comme en Grèce et en Espagne ; François Bayrou le voit en « extrémiste », équivalent à gauche de Marine Le Pen à droite. Mais c’est des rangs de la gauche et des écologistes que viennent les charges les plus virulentes. Signe que la percée du Front de gauche bouscule les plans du PS et de ses satellites.

Aux critiques habituelles des candidats d’extrême gauche, accusant Jean-Luc Mélenchon d’être « un politicien depuis des tas d’années » (Philippe Poutou), un « bourgeois » dont la politique est celle de François « Mitterrand réchauffée » (Nathalie Arthaud), sont venus s’ajouter celles de socialistes le décrivant comme un allié objectif de Nicolas Sarkozy. Si François Hollande feint l’indifférence, un brin dédaigneuse – « Je ne suis pas là pour exister, je suis là pour gagner » –, Laurent Fabius a préconisé en bureau national du PS de se montrer offensif à l’égard de plusieurs propositions du Front de gauche, comme la régularisation des sans-papiers, la nationalisation de Total ou la tenue d’une assemblée constituante. Sans faire l’unanimité sur sa proposition.

Alors que les socialistes sont divisés sur la conduite à tenir face à Mélenchon, les dirigeants d’Europe Écologie-Les Verts, furieux de voir ce concurrent attirer une partie de leur électorat, ont multiplié les attaques contre l’ancien socialiste accusé pêle-mêle de n’être « pas légitime pour parler d’écologie » (Eva Joly), de céder à « l’ultrapersonnalisation » (Cécile Duflot), de « crier fort » et d’avoir des « discours simplistes et démagos » (Jean-Vincent Placé), et d’être, comble de l’abomination, une sorte de communiste. Il ne faut « pas oublier que Mélenchon est pour la Chine et contre le Tibet, pour le régime castriste à Cuba et pour Hugo Chavez » au Venezuela, a ainsi lancé Eva Joly, tandis que Daniel Cohn-Bendit ironisait : « Claude François et Mélenchon, c’est la grande nostalgie : les années 1970, les drapeaux rouges, on va tout renverser… » La palme de l’anticommunisme revient toutefois au socialiste Gérard Collomb. Selon le Figaro (29 mars), le maire de Lyon a dit à propos de son ancien « camarade » : « Le modèle qu’il défend, on l’a essayé en URSS, au Cambodge, ça ne marche pas. »

En meeting dimanche à Grigny (Essonne), Jean-Luc Mélenchon a déploré qu’au moment où il arrive « au-dessus de Mme Le Pen », se constitue « un tir de barrage incroyable ». Et d’avertir à gauche qu’il ne fallait « pas se tromper de camp ». « Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire de s’en prendre à moi […] alors qu’ils se disent de gauche ! Occupez-vous de l’extrême droite, occupez-vous de Sarkozy, foutez-nous la paix ! », a-t-il lancé. Sur son blog, le candidat du Front de gauche, qui voit dans « la désolante campagne de dénigrement des Verts […] leur cotisation pour leurs sièges de députés », est plus précis sur la raison des attaques qui le visent : « Tant que Le Pen est troisième, la chanson du vote utile peut être passée en boucle. L’univers politique des quinze dernières années continue à ronronner avec ses rentes de situation et ses positionnements convenus ! »

Dans l’entourage de Jean-Luc Mélenchon, on note que la progression du Front de gauche se fait au bénéfice de toute la gauche. Selon deux sondages BVA et Ipsos publiés mardi, qui le créditent de 14,5 %, le total des candidats de gauche atteint 46 %, soit un niveau jamais enregistré depuis 1988. En 2007 au premier tour de la présidentielle, il était de 36 %. Le Front de gauche séduit les abstentionnistes, relèvent les sondeurs. Il « est avant tout la percée d’une force qui rassemble la gauche et qui conquiert l’adhésion de milliers de personnes désemparées qui ne savaient plus pour qui voter », écrit de son côté M. Mélenchon.

Les socialistes pourraient s’en réjouir s’ils n’avaient construit leur stratégie dans l’ignorance de cette « gauche boudeuse » – l’expression est de François Hollande –, privilégiant l’alliance avec EELV, jugée plus moderne, dans l’espoir d’attirer sinon François Bayrou lui-même, du moins ses électeurs. La résurgence d’un fort pôle radical à sa gauche contrarie ce bel échafaudage.

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