Le Captain pris au piège

Paul Watson traque les bateaux qui braconnent baleines et requins depuis plus de trente-cinq ans. Il a été arrêté en Allemagne. Le Costa Rica demande son extradition.

Patrick Piro  • 24 mai 2012 abonné·es

On se dit « abasourdi », chez Sea Shepherd : « Captain Watson », comme l’association aime à le nommer, a été interpellé le 13 mai à Francfort. La justice allemande examine une demande d’extradition du Costa Rica, qui veut l’entendre sur des faits intervenus en 2002 au large du Guatemala. L’écologiste canadien, à la barre de son navire, avait percuté un chalutier costaricain pêchant le requin en toute illégalité. Il avait ensuite tenté, sans succès, de l’arraisonner pour le remettre aux autorités guatémaltèques.
Depuis bientôt quatre décennies, Paul Watson s’est instauré shérif pour faire justice aux baleines, dauphins, phoques, requins, thons, holothuries… là où les lois ne sont pas appliquées, faute de moyens ou de volonté politique. « Nous sommes la seule marine qui défende les océans ; s’ils meurent, nous mourrons aussi », répète-t-il inlassablement.

À 61 ans, le Captain est une légende de l’écologie. Son hagiographie commence avec son entrée en lutte à l’âge de 9 ans, quand il détruit les pièges des trappeurs qui ont tué un castor pour lequel il s’était pris d’affection. Paul Watson est un adepte inébranlable de l’action directe.

Cofondateur de Greenpeace, il en est exclu en 1977 à la suite d’une fameuse action de dénonciation des massacres de bébés phoques sur la banquise canadienne, pendant laquelle il en vient aux mains avec un chasseur. L’ONG, en plein essor, estime que son image est menacée. Selon Watson, encore mortifié aujourd’hui, l’épisode marque l’entrée de Greenpeace dans le monde bien-pensant du business associatif. Bien décidé à poursuivre sa croisade avec ses méthodes, il décide de créer Sea Shepherd.

Pour le Captain, se contenter de dénoncer est une lâcheté ; il faut agir, et pas à moitié. Pour tester les militants qui rêvent d’embarquer dans l’une de ses campagnes de traque des braconniers des mers, ce meneur magnétique a coutume de poser la question sésame : « Êtes-vous prêts à risquer votre vie pour sauver celle d’une baleine ? »

Sur le plan de la détermination et du courage, Watson est inattaquable. Il a risqué sa peau à de multiples reprises, face aux chasseurs de phoques, aux navires usines des baleiniers japonais, ou lors d’une course-poursuite délirante avec la Marine soviétique en 1981 sur les côtes sibériennes [^2]. Son fait d’armes inaugural date de 1979. Au large du Portugal, son bateau éperonne le Sierra, un baleinier ayant massacré quelque 25 000 cétacés. En trente-cinq ans, son association a mené plus de 200 actions musclées en mer : sabotage, abordage ou blocage de bateaux, jets de fumigènes et de beurre rance, destruction d’élevages illégaux, interposition entre les harpons et les cétacés…
Avec ses bateaux à livrée noire et pavillon à tête de mort, Watson se revendique ouvertement pirate. Controversé ? C’est un euphémisme.

Plusieurs mouvements écologistes jugent son activisme nuisible à la cause. Au Japon, dont il harcèle les baleiniers menant en Antarctique une pseudo-pêche scientifique, il est qualifié d’« écoterroriste ». Le Canada, son pays, n’en pense pas moins.

« Arrêtez-nous ou fermez-la », rétorque le Captain. Car ce n’est pas un bleu : il se targue de non-violence à l’endroit des personnes et… du respect de la loi. Ses actions, souvent conduites dans les eaux internationales, n’ont jamais causé de décès et frôlent habilement les frontières de la légalité.

À en croire cet inflexible, l’animosité ne viserait pas tant ses méthodes que le trouble que suscite sa philosophie : Watson se réclame du biocentrisme, mouvement apparenté à la deep ecology (écologie profonde), qui refuse d’établir une hiérarchie entre les êtres vivants sensibles, humains et non-humains. En substance, explique un Captain féru de formules chocs, le premier des criminels est l’homo sapiens, espèce fruste qui s’arroge le droit d’attenter à la vie (y compris la sienne propre) en détruisant les écosystèmes et leurs habitants. Watson, en bonne logique, tient en piètre estime États et institutions (dont la démocratie), ­défenseurs zélés de l’intérêt économique, incapables de faire respecter les lois de protection de la nature qu’ils édictent.

De fait, selon Sea Shepherd, l’action judiciaire menée par le Costa Rica transpire la manipulation : l’affaire ayant déjà débouché sur deux non-lieux par le passé, ne s’agit-il pas d’une énième tentative de pression internationale tramée par le Japon ? Watson, qui a déjà échappé à une tentative d’assassinat et dont la tête est mise à prix par les mafias taïwanaises, dit craindre pour sa vie en cas d’extradition.

L’écologiste a été libéré sous caution, tandis que Berlin s’est donné quatre-vingt-dix jours pour examiner la demande. Plus qu’il n’en faut pour mobiliser en faveur du Captain [^3], que des milliers de militants, mais aussi des associations, des médias, des élus, considèrent comme un héros légitime.

[^2]: L’épisode est détaillé dans Capitaine Paul Watson, entretien avec un pirate, qui vient de paraître aux éditions Glénat.

[^3]: Pétition de soutien sur le site www.seashepherd.fr

Écologie
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