Mais il est bien court le temps des cerises…

Retour sur une nostalgie printanière d’un bref printemps devenu un fruit amer ou défendu, les cerises ne sont plus ce qu’elles étaient

Claude-Marie Vadrot  • 12 mai 2012
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Mais il est bien court le temps des cerises…
© Photo : AFP / Susanna Rescio / Bilderberg

En France, les premières cerises mûrissent en général dans les Pyrénées-Orientales, le département le plus ensoleillé du pays. Elles sont naturalisées françaises depuis plus de deux millénaires, même si la forêt gauloise offrait déjà sa petite sœur aujourd’hui ignorée de la plupart des Français, la merise, alors qu’elle y pousse toujours naturellement depuis sa lente migration depuis le Caucase, il y a quelques milliers d’années. Un petit fruit rouge foncé ou noir, délicieusement acidulé avec lequel se font de l’excellente liqueur artisanale et aussi les meilleurs clafoutis qui s’accommodent mal des grosses cerises fadasses ayant subi une constate et importante irrigation qui les charges d’eau au dépend de leurs parfums et de leur sucre. Un merisier prélevé dans un bois ou issu d’un noyau de cerise colporté par de nombreux oiseaux, notamment les merles et les étourneaux sansonnets, s’adapte fort bien de la terre de n’importe quel jardin. D’ailleurs, les autres cerisiers cultivés sont également fort accommodants dans le choix des sols qui les accueillent. La cerise est bonne fille si on ne la brutalise pas.

La « vraie » cerise, plus grosse, donc, celle à partir de laquelle les arboriculteurs ont inventé de nombreuses variétés, nous est venue d’Asie Mineure et des rives de la Caspienne ; et plus exactement, selon la légende historique des Romains, de Turquie où sa progression s’était arrêtée. D’où son nom puisqu’elle est réputée avoir été volée dans les années 70 av. J.-C. par les Romains après la bataille de Cerasonte, ville qui se trouve toujours sur les bords de la Mer Noire et porte désormais le nom de Girasum. Lucullus, le général romain vainqueur rapporta quelques greffons d’un arbre portant de grosses cerises dans son jardin. Et après quelques siècles de méfiance, caractéristique des paysans et des consommateurs français, les cerisiers s’installèrent dans les vergers de France. Et c’est Louis XV qui fit de la cerise un fruit à la mode en en consommant des quantités pantagruéliques. Ce qui incita ses courtisans et la cour à faire de même.

La Turquie reste d’ailleurs le plus gros producteur mondial avec environ 420 000 tonnes, contre 55 000 tonnes pour la France, le département qui en produit le plus étant le Vaucluse. Il faut y ajouter les dizaines de milliers de tonnes récoltées dans les jardins particuliers. Plus les années passent, comme pour les tomates, les Français préfèrent leur arbre à l’achat d’un fruit de moins en moins goûteux, de plus en plus traité et de plus en plus cher. D’autant plus qu’il suffit de planter…. et d’attendre.

Au grand désespoir des arboriculteurs et des consommateurs, le temps des cerises est très court, guère plus de 8 semaines, même si quelques variétés (en général menacés par des petits vers) peuvent encore mûrir au mois de juillet. Le plaisir de la cerise est éphémère, quand on s’abstient d’acheter celles qui arrivent de trop loin, souvent assaisonnées de produits chimiques ou discrètement traitées par des irradiations au cobalt dont nul ne connaît les conséquences sur la qualité de vitamines et sur les organismes des consommateurs. Objectif : ralentir au maximum le mûrissement après cueillette. Une cerise momie en quelque sorte.

Quel rapport entre ce fruit de printemps et « Le temps des cerises » qui fait un discret retour en politique depuis quelques jours parce qu’il est considéré comme un hymne contestataire ? En fait, aucun sinon qu’il est bien court le temps des cerises. Son auteur, Jean-Baptiste Clément était bien un révolutionnaire républicain : il goûta aux geôles de Napoléon III et s’illustra courageusement sur les barricades et dans les combats de la Commune, ce qui lui valut un long exil à Londres et une condamnation à mort par contumace. Mais sa chanson, qui n’était alors qu’un petit poème, a été écrite en 1866 et mise en musique par hasard un an plus tard. Mais il la chanta tant sur les barricades pendant le bref printemps de la Commune à l’époque des premières cerises qu’elle fut reprise par tous les communards qui l’entonnaient le soir après les combats ; jusqu’au 28 mai de 1871, jour où la révolte fut définitivement écrasée en dépit des espoirs qu’elle a avait suscité. Elle a gardé depuis, ce parfum de brièveté, de nostalgie et de rêves déçus…

Et elle fut chantée à la Bastille par Barbara Hendricks et une grande foule réunie quelques jours après la mort de François Mitterrand en janvier 1996…

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes
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