Migrants abandonnés à la mer

En 2011, près de deux mille personnes qui voulaient rejoindre un pays d’Europe sont mortes en Méditerranée. Une flottille de solidarité, Boats4people, veut interpeller l’opinion publique sur ce drame.

Clémence Glon  • 5 juillet 2012 abonné·es

La Méditerranée comme scène d’une tragédie. À la recherche d’une vie meilleure en Europe, des migrants n’hésitent pas à se lancer dans un périple maritime dangereux. Soleil de plomb, mer sans clémence, panne de carburant, pénurie d’eau… Hommes, femmes et enfants finissent par mourir en mer, parfois tout près de la destination rêvée et des plages où s’ébattent les touristes. Ainsi, en 2011, 2 000 migrants n’ont jamais réussi à rejoindre les côtes du continent européen…


Le phénomène ne date pas d’hier. Selon le site Internet Fortress Europ, ils seraient 18 244 à avoir péri depuis 1988 sur des embarcations de fortune. « Cette mer est devenue un cimetière », soupire Fernanda Marrucchelli, coordinatrice à la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (Fasti). De son petit bureau du XXe arrondissement à Paris, la militante le concède : la question des morts au large de l’île italienne de Lampedusa, par exemple, semble bien lointaine. Elle est pourtant révélatrice d’une logique qui s’installe insidieusement : « À vouloir créer des barrières pour se protéger, on se prive de nos propres libertés », explique-t-elle. Comme celle de venir en aide aux boat people en danger de mort.
Le 26 mars 2011, une embarcation avec 72 migrants africains quittent la Libye en guerre. De gros navires militaires patrouillent dans les eaux où dérive le bateau surchargé. Certaines personnes à bord appellent à l’aide grâce à des téléphones portables. En vain. Le bateau dérive dix-huit jours, et 63 personnes meurent de soif et de faim avant d’échouer finalement en Libye.

Quelques mois plus tard, le journal The Guardian révèle que l’Otan avait bien reçu les messages de détresse. En France, un an après le scandale, un groupe d’associations a porté plainte contre X pour non-assistance à personne en danger.
Selon Fernanda Marrucchelli, les Européens n’imaginent pas l’hécatombe qui se joue à quelques centaines de kilomètres de leurs côtes : « Il faut interpeller l’opinion publique sur les violations concernant les migrants en mer. » Le drame de mars 2011 a poussé la Fasti et une quinzaine d’associations européennes et africaines à agir. Le projet « Boats4people » voit le jour. Depuis lundi 2 juillet, une flottille emprunte en sens inverse la route du périple mortel pour sensibiliser le public. Le voilier Oloferne est parti du port de Rosignano en Toscane, direction la Tunisie. À bord, des militants, des journalistes et des réalisateurs participeront aux discussions, projections de film et manifestations qui les attendent sur quatre escales : Palerme, Tunis, Monastir et Lampedusa. À Monastir, la flottille jettera l’ancre pendant les journées internationales des peuples, autour du 11 juillet.


Boats4people veut également s’adresser aux marins, les premiers sauveteurs potentiels des migrants, et à leurs syndicats. De peur de se voir accusés d’être des passeurs, nombre de marins refusent de porter assistance aux naufragés. « En cas d’enquête sur l’origine des migrants, le bateau du pêcheur peut être réquisitionné plusieurs jours », souligne Fernanda Marrucchelli. Une menace pour l’emploi qui passe avant la solidarité. Pourtant, les conventions de droit maritime international sont claires : l’assistance des personnes en danger doit primer. « Mais en criminalisant les migrants, on rend leur mort presque banale », poursuit Fernanda Marrucchelli.
Il est pourtant évident qu’aucune politique n’a jamais dissuadé ceux qui sont prêts à beaucoup pour atteindre un pays d’Europe. La Fasti dénonce une prise de risque organisée qui s’accroît au fil des années et des moyens de surveillance mis en place. Avec l’agence européenne Frontex (frontière extérieure), chargée de coordonner les activités des gardes-frontières de la zone UE, les routes migratoires comme le détroit de Gibraltar sont semées de patrouilles. Les trajets les plus courts, donc les moins dangereux, deviennent impraticables pour les immigrés clandestins. « Une des préoccupations de la Fasti est de voir l’agence Frontex disparaître, assure Fernanda Marruchelli. La prohibition crée la nécessité et entretient les passeurs. » Présente sur la flottille de Boats4people, Hélène Flautre, députée européenne Europe Écologie-Les Verts (EELV), est chargée d’un rapport sur cette question dramatique à l’intention du Parlement.

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