Essai de la semaine : Bensaïd, le militant, l’intellectuel et l’homme

Plusieurs de ses amis évoquent la figure du cofondateur de la Ligue communiste.

Denis Sieffert  • 13 septembre 2012 abonné·es

Figure de proue de la gauche révolutionnaire, cofondateur de la Ligue communiste et intellectuel de haut vol, Daniel Bensaïd nous a quittés en janvier 2010. Plusieurs de ses amis et compagnons de lutte, dont Michael Löwy, Samy Joshua, Philippe Corcuff, Pierre Rousset et Catherine Samary, lui rendent hommage dans un ouvrage dont le titre reprend à son sujet le qualificatif d’« intempestif », qu’il avait lui-même appliqué à Marx. Un mot qui est au cœur du travail de Bensaïd, et qu’il ne faut évidemment pas lire dans son sens péjoratif, mais en référence à l’idée d’une « temporalité multiple » rendant à l’histoire son caractère aléatoire. « L’intempestif » réfute le mythe d’un mouvement linéaire. Si le concept apparaît évident aujourd’hui, il ne l’était pas pour la génération de 1968, habitée par une pensée quasi téléologique. Le livre, préparé sous la direction de François Sabado, revient sur différents aspects de l’œuvre de Bensaïd et de sa personnalité. On retiendra surtout sa volonté de résister à la tentation du dogmatisme. Et on redécouvrira un homme qui fut peut-être avant tout – dans son travail – un lecteur exigeant de Péguy, de Walter Benjamin, et même de Pascal.

Mais c’est évidemment Marx qu’il a lu et relu avec le plus de soin. Ce qui lui a permis d’éviter les pièges de la vulgate, et de redécouvrir des pépites comme cette citation du Capital qui témoigne d’une pensée d’une grande modernité : « Tout progrès dans l’agriculture capitaliste est un progrès dans l’art, non seulement de voler le paysan, mais de spolier le sol, tout progrès temporaire dans l’accroissement temporaire de la fertilité du sol est un progrès vers la ruine des sources de cette fertilité. » Les pesticides et les OGM sont déjà là ! L’ouvrage s’achève sur un entretien publié par la revue Mouvements en mai 2000. Bensaïd y remet en perspective presque quarante ans de lutte, et les « rendez-vous manqués avec l’histoire » (l’expression est de Régis Debray) de toute une génération. Le propos n’est pas exempt d’autocritique, notamment sur les dérives de la lutte armée dans l’Amérique latine des années 1970 et, plus généralement, sur un certain romantisme révolutionnaire, que résume une formule volontairement ambiguë : « On a eu raison d’avoir tort. » « Tout combat minoritaire de longue haleine, avouait Bensaïd, peut se complaire dans une esthétique de la défaite : vaincu mais dans la dignité. » D’où un rapport compliqué avec tout ce qui ressemble au pouvoir, dont on se tient à distance de crainte qu’il ne vous dévore. À cet égard, la restitution du débat sur le Brésil des « années Lula » est l’un des moments forts de ce livre passionnant et attachant. Comme il fut lui-même.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre
Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires
Idées 24 octobre 2025 abonné·es

Travailler, penser, écrire depuis les quartiers populaires

Face aux clichés médiatiques et au mépris académique, une génération d’intellectuel·les issu·es des quartiers populaires a pris la parole et la plume. Leurs travaux, ancrés dans le vécu, mêlent sciences sociales, luttes et récits intimes. Ils rappellent que depuis le terrain des quartiers on produit du savoir, on écrit, on lutte.
Par Olivier Doubre
Pourquoi les droits des animaux interrogent notre humanité
Droit 23 octobre 2025 abonné·es

Pourquoi les droits des animaux interrogent notre humanité

Depuis 2015, le code civil français reconnaît les animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité. Une évolution en lien avec une prise de conscience dans la société mais qui soulève des enjeux éthiques, philosophiques et juridiques fondamentaux.
Par Vanina Delmas