Mariage gay : généalogie d’un combat

Loin d’être un signe de « conformisme », la revendication du mariage gay est d’abord une lutte pour l’égalité des droits.

Olivier Doubre  • 27 septembre 2012 abonné·es

Soit un homme d’une quarantaine d’années (nous l’appellerons Hubert), qui tombe amoureux d’une femme (nous l’appellerons Annick). Tous deux sont un brin anticonformistes et n’ont habituellement que faire des convenances, des institutions, plus encore des religions. Quelques mois après leur rencontre, à l’issue d’un contrôle médical, Annick apprend qu’elle doit subir une opération assez sérieuse. Heureusement, tout se passe bien, et Annick retrouve Hubert chez eux, dans l’appartement qu’elle a acheté et rénové dix ans durant. Quelque temps après, une question les taraude. Et si l’opération s’était mal passée ? Ils prennent soudain conscience qu’en cas de décès de la jeune femme, Hubert n’aurait eu aucun droit sur l’appartement. Pire, leur union (en concubinage) n’aurait pas été reconnue, Hubert n’aurait même pas pu prétendre à organiser les obsèques. Seule la mère d’Annick – avec qui celle-ci est en froid depuis longtemps –, catholique pratiquante, aurait décidé des obsèques et du sort de l’appartement. Annick et Hubert se sont mariés trois semaines plus tard… Cette petite histoire témoigne des garanties qu’offre le mariage à un couple (hétérosexuel, pour l’instant, en France). L’institution peut sembler désuète, et a été souvent moquée. Et lorsque des couples de même sexe expriment leur désir de mariage, reviennent souvent les accusations de « conformisme homosexuel » ou de « singer les hétéros »… Des considérations qui ne fleurissent en général que sur les lèvres d’hétérosexuels, non sans un brin de supériorité sous-entendue.

Il est vrai qu’au début des années 1970, les mouvements gays et lesbiens alors naissants (tels le Front homosexuel d’action révolutionnaire ou les Gouines rouges) conçoivent plutôt l’homosexualité comme une forme de contestation de la société ou de l’ordre sexuel dominant. Un héritage qui laissera des traces puisque l’association française la plus inventive et la plus radicale de lutte contre le sida, Act Up-Paris, connaîtra un long débat sur la question du mariage, avant de faire sienne cette revendication. On le sait, l’épidémie frappera d’abord la communauté homo, encore dans l’euphorie de la liberté sexuelle conquise dans les années 1970. Le phénomène est mondial, mais la communauté gay est très durement touchée aux États-Unis et, pour l’Europe, en premier lieu en France. Le grand historien de l’homosexualité outre-Atlantique, George Chauncey [^2], souligne le parallèle entre la montée de la revendication pour le droit au mariage des couples de même sexe et l’hécatombe que connurent les gays dans les années 1980 et 1990 [^3]. L’historien relate en effet ce qui se passait alors souvent : l’un des membres d’un couple gay tombe soudain malade et meurt du sida ; les parents du défunt ne connaissent pas son homosexualité, en particulier dans les années 1980 de l’Amérique puritaine du président Reagan ; le survivant se retrouve sans aucun droit, notamment en matière de succession. Et s’il vivait dans l’appartement du défunt, il se voit mis à la porte. George Chauncey raconte ainsi nombre d’histoires, d’une brutale cruauté, d’homosexuels endeuillés, jetés dehors par les parents de leur ancien compagnon, ceux-ci lui déniant même le droit de récupérer ses affaires personnelles, voire une photo de la personne aimée. Dans les pires cas, ils découvraient les affaires de toute une vie jetés à la poubelle, détruits ou brûlés par la famille, comme s’il fallait purifier les lieux d’une improbable contamination.

La revendication du droit au mariage va donc progresser au sein de la communauté homosexuelle, rompant d’un certain point de vue avec le caractère contestataire de la vie gay affiché durant les années 1970. Et ce au nom de l’égalité et de la reconnaissance du lien entre les membres d’un couple (avec tous les droits connexes à cette situation). Viendront ensuite les revendications en matière d’adoption et, pour les couples lesbiens, de procréation médicalement assistée. Certes les différentes formes d’union civile, tel le Pacs (adopté en France en 1999), apportent une première réponse. Mais souvent incomplète. Non seulement parce que les droits qui en découlent ne sont pas tout à fait les mêmes – il faudra attendre 2007 pour voir l’alignement en matière d’imposition ou de succession entre pacsés sur ceux des personnes mariées –, mais aussi parce que les questions de filiation, d’adoption ou de procréation ne sont pas encore résolues. Il s’agit donc d’avoir tout cela en mémoire pour comprendre l’importance de la réalisation de l’égalité des droits en matière de mariage « pour tous ». Le gouvernement Ayrault, sous la conduite de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, et surtout, de sa secrétaire d’État en charge des familles, Dominique Bertinotti, s’apprête à enfin reconnaître ce droit au mariage. Il était temps.

[^2]: Gay New York, 1890-1940 , traduit de l’anglais par Didier Éribon, Fayard, 2005 (1re éd. aux États-Unis en 1994).

[^3]: Why marriage ? The history shaping today’s débate over gay equality , George Chauncey, Basic Books, New York, 2004.

Idées
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