Carrefour des luttes

Près de 40 000 personnes sont venues protester samedi contre le projet de grand aéroport.

Lena Bjurström  • 22 novembre 2012 abonné·es

Samedi 17 novembre. La départementale de Loire-Atlantique qui mène au bourg de Notre-Dame-des-Landes connaît probablement son premier embouteillage. Militants ou simples citoyens engagés, ce sont près de 40 000 personnes selon les organisateurs (13 000 selon la préfecture) qui sont venues protester contre le projet d’aéroport du Grand Ouest. Sont présents des acteurs de terrain, comme les agriculteurs de l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport) et les « zadistes », occupants de la zone d’aménagement différé (ZAD), rebaptisée « zone à défendre », qui habitaient les alentours de Notre-Dame-des-Landes jusqu’à leur expulsion par les forces de l’ordre au mois d’octobre. Mais d’autres ont fait le déplacement de plus loin. De Lille à Toulouse, ils sont venus en covoiturage ou dans les cars affrétés pour l’occasion par les comités de soutien de toute la France.

« Seule la lutte décolle »

De nombreux politiques sont également présents, de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) à Jean-Luc Bennahmias (MoDem) en passant par José Bové (EELV) et Myriam Martin (Gauche anticapitaliste). Mais aucun ne prendra la parole. Ils ont été prévenus, cette manifestation est celle de la société civile, et aucune récupération partisane ne sera tolérée. Ce qui n’empêche pas Sylvie Bourbigot, élue EELV du conseil général des Côtes-d’Armor, d’afficher ses couleurs. « Je suis venue par conviction. Cependant, mon engagement passe pour moi par un investissement partisan. Je suis une élue EELV, je ne vais pas m’en cacher. Mais, je comprends tout à fait la méfiance de ceux qui craignent une récupération partisane. Cette lutte est avant tout citoyenne. » Et fédératrice de toutes les colères. Au-delà de « l’Ayraultport », la manifestation du 17 novembre se veut un symbole de résistance, écologique pour certains, anticapitaliste pour d’autres, souvent tout cela mélangé. Jimmy a ainsi quitté Edimbourg pour la forêt des Landes il y a plus d’un an. Avec Anna et d’autres zadistes, ils ont occupé les bois avant que la police ne vienne « détruire leur maison et leur potager ». « L’écologie n’est pas une problématique nationale, pas plus que ne l’est la lutte contre un système qui bafoue la nature et les personnes. Aujourd’hui je suis en France, demain je serai peut-être ailleurs. Il faut faire le lien entre différentes résistances, comme celle de la forêt de Hambach, en Allemagne. Et cette journée à Notre-Dame-des-Landes est l’occasion de rappeler toutes ces luttes en cours. » Entre dénonciations d’un système capitaliste et colère contre le béton ou l’austérité, entre partisans d’une action directe et adeptes des recours en justice, les opinions divergent mais, ce samedi, ce n’est pas le sujet. « Nous n’avons pas besoin d’être d’accord sur tout, tant que nous sommes ensemble pour lutter contre cet aéroport. Aujourd’hui, c’est ce qui compte », rappelle Anna. « La résistance est fertile ! », clame une banderole, tandis que plus loin une autre affirme : « Seule la lutte décolle ! »

L’oubli des menaces

Souvent humoristiques, les slogans jouent sur les mots. Du Premier ministre à la société Vinci, en charge du projet d’aéroport, chacun en prend pour son grade. Un homme en costard hors d’âge, un cigare à la main, déclenche ainsi les rires : « Je représente la société Vinci et j’apporte la bonne parole. Connaissez-vous les trois C ? Croissance, CAC 40, Compétitivité ! » À travers la critique du projet d’aéroport, c’est ainsi toute une actualité politique qui est moquée. Après quelques heures de marche, les manifestants se dispersent dans un vaste champ. Le ciel est menaçant, mais cela n’entame pas leur bonne humeur. Les prévoyants entament leur pique-nique tandis que les buvettes approvisionnent les autres en soupe et tartines. Des ULM de l’Acipa passent dans le ciel, pour le plus grand émerveillement d’une fillette, qui s’étonne tout de même : « Mais Maman, il y a déjà des avions ? » Deux chapiteaux s’élèvent et, sur une scène, les discours s’enchaînent, émaillés d’annonces pratiques : « L’équipe de construction des sanitaires a besoin de bras. Nous vous invitons par ailleurs à vous promener jusqu’aux lieux de reconstruction et à profiter de la beauté des bois. » « Ce n’est pas une manif, c’est un festival ! », rit un militant. L’ambiance est effectivement détendue. La préfecture a eu le bon goût de ne pas envoyer ses troupes, aucune présence policière n’est donc visible. Sur les lieux de reconstruction, tout le monde s’active. Une chaîne humaine s’est formée et les planches passent de main en main. Un homme qui porte seul un panneau de bois se fait interpeller : « Eh, tu voles le boulot de milliers de personnes, là ! » Loin des cabanes annoncées, ce sont de véritables maisons qui s’élèvent parmi les arbres. Pour combien de temps ?

Cause emblématique

La veille de la manifestation, François Hollande a réaffirmé son soutien au projet, et la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a rappelé que celui-ci avait été déclaré d’utilité publique. « Le débat public a eu lieu depuis 2003. Force est donc à la loi », estime-t-elle. Marie, une sympathisante venue de Redon, vétérante des luttes écologistes depuis les années 1970, rappelle pourtant que « le Larzac était déclaré d’utilité publique, ce qui n’a pas empêché François Mitterrand de revenir dessus ». Pour l’heure, le gouvernement ne semble pas faire volte-face, et les expulsions pourraient bien reprendre avant Noël. Les dés sont-ils jetés ? Des comités de soutien répartis un peu partout en France aux collectifs d’élus ou de pilotes doutant de la pertinence du projet, en passant par des syndicats agricoles, l’opposition à l’aéroport est étendue, ce qui fait de Notre-Dame-des-Landes une cause emblématique. Les partis politiques sympathisants l’ont bien compris et, récupération ou non, s’emparent du sujet. Quant aux associations écologistes, comme Greenpeace et les Amis de la Terre, qui ont par ailleurs annoncé qu’elles ne prendraient pas part au débat public sur l’énergie, elles pourraient bien faire de cette lutte leur cheval de bataille contre un gouvernement qui les déçoit. En attendant, les obligations de Vinci vis-à-vis de la loi sur l’eau pourraient empêcher pour un an toute opération de construction. Le temps que la lutte s’effrite, ou se renforce.

Écologie
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