Jeux de l’ancien et du moderne

Avec les Serments indiscrets, Christophe Rauck monte un Marivaux d’aujourd’hui.

Gilles Costaz  • 8 novembre 2012 abonné·es

Longtemps chef de troupe indépendant, Christophe Rauck a d’abord porté l’empreinte d’Ariane Mnouchkine et du théâtre du Soleil. Ses spectacles étaient exubérants, dynamiques, colorés, spectaculaires. Ils n’en étaient pas moins très personnels, ce qui lui a valu de faire une mise en scène remarquée à la Comédie-Française ( le Mariage de Figaro ) et surtout d’être nommé à la tête du Centre dramatique national de Saint-Denis, en remplacement d’Alain Ollivier. Il y a imprimé une politique excellente, très soucieuse des habitants et de la nature de cette ville de banlieue, largement ouverte aux auteurs d’aujourd’hui. Mais son évolution de metteur en scène semblait partir vers une gravité peut-être excessive – le gris remplaçant les couleurs, un souci de dialectique dominant l’esprit de fête. Montant Ostrovski, Brecht et De Vos, il affichait un style plus corrosif mais plus lourd, comme pris par la nostalgie du théâtre politique que les centres dramatiques pratiquaient autrefois.

Cette nouvelle mise en scène nous permet de retrouver un Rauck renouant avec sa manière enjouée. Bien plus, il affirme un renouvellement de son style dans sa vision des Serments indiscrets de Marivaux. Dans cette comédie, les jeunes trompent les anciens. Ces anciens veulent marier Lucile et Damis, qui semblent avoir de l’intérêt l’un pour l’autre. L’union renforcerait le lien qui unit les deux pères. Les deux tourtereaux acceptent mais mettent tout en œuvre pour que ce mariage n’ait pas lieu. Damis courtise la sœur de Lucile. Et tout s’emballe : les sentiments amoureux, la jalousie, l’incompréhension des parents. L’écheveau ne se dénouera qu’au prix de pas mal de blessures. Il n’y a pas de jeu innocent. Le spectacle fonctionne beaucoup sur le trouble visuel du clair-obscur. Des actions se passent sur les côtés, avec des galeries latérales fermées par des rideaux translucides – derrière lesquels passent, vite, des personnages pressés. Sur la scène, derrière des rideaux sombres, le spectacle commence. Les acteurs se changent. C’est assez confus, dans un premier temps. Mais on comprendra peu à peu que tout se déroule à cheval entre l’époque de Marivaux et la nôtre. Tout est ancien et moderne à la fois. Les acteurs principaux ont parfois, discrètement superposés, un habit d’hier et un habit d’aujourd’hui. On verra même la jeune sœur prendre un caméscope pour filmer, et nous donner à voir sur l’écran en fond de scène son courtisan se justifiant. Ce jeu de l’image se poursuivra avec le jeune homme prenant à son tour la caméra. Cette intrusion d’un objet anachronique n’a rien d’une afféterie. Elle semble même s’opposer à l’utilisation artificielle de la vidéo que l’on voit dans tant de spectacles pour montrer une autre voie : peu d’images, mais des images qui rejoignent par d’autres moyens le jeu du mensonge et de la vérité mis en place par Marivaux.

La soirée fait alterner le vide et le plein : les fauteuils voltaire, les tapis et les rideaux disparaissent et réapparaissent. Dans cet espace changeant, les acteurs peuvent donner un double registre, la liberté de l’élan sans frein et le corseté du salon. Cécile Garcia-Fogel, avec son jeu du corps tout entier et sa voix de gorge, donne à son personnage la plénitude de la pasionaria. Sabrina Kouroughli lui oppose une présence fragile mais d’une égale intensité. Pierre-François Garel alterne avec élégance l’impétuosité et les secrets miroitements de l’esprit. Hélène Schwaller donne un rare relief au rôle de la suivante. Marc Chouppart, Marc Susini et Alain Trétout interprètent avec aplomb ce qu’on pourrait appeler la comédie masculine. Tous très vifs dans le miroitement d’un théâtre d’ombres et de lumières.

Théâtre
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