Une subversion exigeante

Le rap assume aujourd’hui sa diversité, sans renier sa tradition d’engagement.

Erwan Manac'h  • 13 décembre 2012 abonné·es

De l’extrême gauche au libéralisme le plus cupide, l’échiquier politique du rap est complet, y compris parmi les plus gros vendeurs. Impossible, ainsi, d’occulter le succès tonitruant d’une caricature qui s’assume, Booba, exhibant son obsession du fric et ses deux millions d’albums écoulés, même si, chez la plupart des rappeurs, le rap léger cohabite avec une critique sociale parfois radicale. L’exercice de style est même devenu un passage obligé. Les rappeurs doivent donner du fond à leurs punchlines (phrases fortes), s’ils veulent s’éviter les foudres du « rap game », une communauté exigeante jalouse de son identité subversive.

Le rap français regorge même d’artistes qui portent cet héritage en étendard. Les cris de révolte de Kery James, la critique acerbe de Keny Arkana ou de La Rumeur, le combat de Médine [^2] contre l’islamophobie, les rimes engagées de Youssoupha, Sniper, etc. : tous se revendiquent d’un rap « conscient ». Dans son Histoire du rap en France, le sociologue Karim Hammou revient sur l’essor d’un courant musical d’abord porté par les boîtes de nuit, les radios libres et l’appétit des maisons de disques, au début des années 1980. Les institutions et les grands médias s’y intéressent – non sans malentendus au départ – comme à une fenêtre sur un monde étranger et fantasmé. Celui du tag et de la « banlieue », qui bascule au tournant des années 1990 vers les questions sociales.

Selon le sociologue, le rap s’approprie alors cette assignation, soutenu par les pouvoirs publics, qui empoignent cette « culture minoritaire » comme un outil d’éducation populaire dans les quartiers. La référence à « la rue » devient centrale dans le rap des années 1990, au point que les artistes sont tenus de prouver leur « street crédibilité » à leurs pairs, notamment pour des raisons commerciales. Aujourd’hui, le rap est « un genre musical plus implanté que jamais en France », écrit Karim Hammou, malgré l’effondrement des ventes au début des années 2000, sous l’effet de la crise du disque. Il s’est affranchi de son assignation à la banlieue et offre aujourd’hui une diversité de points de vue qui « contribue à transformer les représentations » au sein de la société française. En témoigne, selon lui, la multiplication des accusations en justice, portées par quelques politiques, pour tenter de faire taire certains rappeurs.

[^2]: Coauteur avec Pascal Boniface de Don’t panik , Desclée de Brouwer, 224 p., 17 euros. Voir aussi notre entretien sur Politis.fr

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