Catherine Lebrun, secrétaire nationale de Solidaires : « On codifie la régression sociale »

L’accord sur la « sécurisation » de l’emploi est gagnant pour le patronat et perdant pour les salariés.

Thierry Brun  • 17 janvier 2013 abonné·es

L’accord national interprofessionnel « au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi », conclu le 11 janvier entre le patronat et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC), a satisfait le gouvernement. Pourtant, son contenu est considéré comme une régression sociale historique et suscite l’opposition de plusieurs syndicats. La CGT, FO, FSU et Solidaires auront cependant peu de temps pour préparer une riposte et interpeller les parlementaires. En effet, le gouvernement a prévenu qu’un projet de loi sera présenté en conseil des ministres le 6 ou le 13 mars. Les explications de Catherine Lebrun, secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires.

Vous estimez que l’accord issu de la négociation sur la sécurisation de l’emploi est une « régression sociale historique ». Pourquoi ?

Catherine Lebrun :  Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Il est patent que cet accord n’est pas « équilibré ». C’est du gagnant pour le patronat et du perdant pour les salariés. Ce qui est frappant, c’est que la partie la plus importante de l’accord est passée sous silence. Or, l’essentiel repose sur les accords de compétitivité-emploi et sur les licenciements, qui sont des attaques majeures au code du travail. Les mesures de cet accord ne sécurisent en rien les salariés. On codifie la régression sociale.

Il existe un volet créant de nouveaux droits pour sécuriser les parcours professionnels des salariés. Qu’en pensez-vous ?

C’est une mystification. Prenons le cas de la majoration de la cotisation d’assurance chômage des CDD. Il y a effectivement une explosion des contrats de courte durée, mais la surcotisation des CDD de moins d’un mois et d’un à trois mois n’empêchera pas l’employeur de la contourner. Il suffit d’utiliser des CDD de plus de trois mois pour que l’employeur échappe à la nouvelle taxe, alors que le contrat est, lui, toujours précaire. Le patronat y gagne : en contrepartie de la surcotisation, il va bénéficier d’une exonération [de trois à quatre mois, selon la taille de l’entreprise, NDLR] pour l’embauche de jeunes de moins de 26 ans en CDI, mais qu’il pourra mettre à la porte après la période d’essai. Cette mesure rapporterait 155 millions aux employeurs, alors que la surcotisation coûterait 110 millions ! Le Medef y trouve son compte, et on ne peut pas dire que cette mesure éradique la précarité. Autre point, les droits rechargeables à l’assurance chômage  [les chômeurs peuvent ainsi conserver une partie de leurs reliquats, NDLR] sont une mesure intéressante. Sauf que ces droits doivent être négociés dans le cadre de la convention Unedic, et on sait que le Medef souhaite une dégressivité des allocations chômage. La portabilité va donc se traduire par des droits restreints.

On parle beaucoup de mobilité dans l’accord national, dont une « mobilité volontaire sécurisée » pour que les salariés puissent « découvrir un emploi dans une autre entreprise », avec l’assurance du retour. Est-ce une avancée ?

Il faudra avoir deux ans d’ancienneté dans l’entreprise pour que le salarié demande une mobilité sécurisée. Elle est présentée comme une avancée pour les salariés, comme dans le passé les ruptures conventionnelles, qui devaient être une mobilité choisie. Or, le bilan est catastrophique : les ruptures conventionnelles explosent et sont pour la plupart des licenciements déguisés. Avec la mobilité sécurisée, on peut s’attendre à des dérives car elle n’empêchera pas le licenciement. Les employeurs utiliseront cette mesure à leur avantage.

Des accords de « maintien de l’emploi » d’une durée de deux ans maximum pourraient être conclus en contrepartie de l’engagement de ne pas licencier…

Quelle illusion de penser que ces accords de compétitivité-emploi permettront de sauvegarder l’emploi ! À chaque fois que de tels accords ont été signés dans les entreprises, le patronat a introduit une disposition qui le dégage de toute obligation conventionnelle attachée au licenciement économique. Plutôt que de créer un accord de compétitivité-emploi, on aurait pu simplement améliorer le chômage partiel, de telle sorte que les salariés conservent 100 % de leur rémunération.

Le gouvernement veut présenter début mars une loi transposant l’accord. Qu’avez-vous envisagé dans les prochaines semaines ?

Le problème est que le gouvernement veut transposer tel quel cet accord national, et dans un temps relativement court. Ce n’est pas une surprise : il veut ratifier un texte sans le modifier, notamment parce qu’il est en cohérence avec le pacte de compétitivité et avec l’idéologie libérale du coût du travail. On va adresser une lettre ouverte aux organisations syndicales non-signataires pour proposer de construire une mobilisation et pour interpeller les parlementaires. Nous voulons donner une autre analyse de cet accord qui n’est en rien une victoire du dialogue social.

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