Mali : Réminiscences coloniales

Malgré un contexte particulier, l’intervention militaire de la France réveille une mémoire douloureuse.

Denis Sieffert  • 31 janvier 2013 abonné·es

Les lecteurs du Monde ont sans doute été nombreux à tomber en arrêt devant la une de leur quotidien, lundi dernier (journal daté du 29 janvier) : « L’armée française prend Tombouctou ». Rien d’inexact dans ce titre. Tout juste une pénible réminiscence. On peut imaginer que nos gazettes avaient titré à l’identique, et au mot près, un certain 10 janvier 1894, lorsque la colonne du lieutenant-colonel Étienne Bonnier a pris, pour la première fois, Tombouctou. L’affaire ne s’était d’ailleurs pas bien passée. Ni pour les Français, dont la colonne avait été anéantie quatre jours plus tard par les Touaregs, ni pour les Touaregs, finalement massacrés par des renforts placés sous le commandement du futur maréchal Joffre. Lequel devait ensuite s’employer à « pacifier » tout le nord de ce qu’on allait appeler le Soudan français, définitivement soumis au début de juillet. On dira que le contexte, en ce mois de janvier 2013, est différent. Les troupes françaises sont accueillies en libératrices par la population, qui a eu à subir pendant près de dix mois les violences des jihadistes d’Aqmi. On partagera momentanément le bonheur de ces femmes qui arrachent devant les caméras de télévision le voile qui leur était imposé ou de ces hommes qui brandissent la cigarette qui leur était interdite. Et on ne reviendra pas ici sur la nécessité qu’il y avait à intervenir pour empêcher que cette dictature pseudo-religieuse s’étende à tout le pays, jusqu’à sa capitale, Bamako. Il n’empêche ! Le titre du Monde vient souligner l’ambiguïté de la situation. Sa phraséologie coloniale rappelle que l’intervention française est aujourd’hui à un tournant.

Après avoir fait barrage à l’avancée des jihadistes, la France est prise dans un engrenage. Pas ou peu de soutien des pays africains. Peu de soutien de la part d’une armée malienne désorganisée et qui risque de mener contre les Touaregs, notamment, des actions de représailles, voire de se livrer au pillage. Or, si les jihadistes sont chassés des grandes villes, ils ne vont pas disparaître pour autant. Ils vont se réfugier dans les zones désertiques, et se préparer à une contre-offensive. Le risque pour François Hollande est de vouloir tenir la place coûte que coûte. Car, pour l’instant, aucune date butoir ne semble fixée, même si on peut comprendre que celle-ci, si elle existe, ne soit pas rendue publique. La position française ne va pas tarder à devenir très inconfortable. Le dilemme peut devenir rapidement douloureux : ou bien partir, faute de relais africain, et prendre le risque d’avoir fait tout ça pour rien ; ou bien s’enliser dans un conflit dont la popularité se révélerait très éphémère. L’affaire pourrait mal se terminer pour François Hollande, qui n’a que peu profité, semble-t-il, d’un « effet Mali » imaginé par ceux qui voyaient dans ce conflit l’occasion pour le Président français d’opérer un sérieux correctif d’image. Alors, la malencontreuse référence coloniale du titre du Monde prendrait tout son sens.

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