Eva Joly : « Assurer la continuité de ses dossiers »

Pour l’eurodéputée Eva Joly, ancienne juge d’instruction, muter Marie-Odile Bertella-Geffroy va à l’encontre de l’intérêt public.

Patrick Piro  • 14 février 2013 abonné·es

L’ancienne candidate EELV à la présidence soutient l’obligation réglementaire de mobilité des magistrats spécialisés, qui contribue à préserver leur indépendance face aux risques de clientélisme. Cependant, en raison de l’importance des dossiers que porte Marie-Odile Bertella-Geffroy, qu’elle a côtoyée quelques années dans les locaux du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, elle admet que son cas puisse faire exception.

La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy vient de recevoir notification de sa mutation prochaine par le ministère de la Justice. Une décision guidée par des intérêts politiques, alors qu’elle vient de mettre en examen Martine Aubry dans l’affaire de l’amiante ?

Eva Joly : Marie-Odile Bertella-Geffroy est juge d’instruction à Paris depuis trois décennies : c’est une situation parfaitement anormale. La règle « des dix ans », qui impose la mobilité des magistrats spécialisés, est une très bonne chose. Elle a pour but d’éviter les conflits d’intérêts que pourrait générer la persistance d’une personne à des postes aussi exposés aux influences. Aussi, je n’aime pas trop la théorie d’un complot visant à arranger les affaires de l’ancienne Première secrétaire du Parti socialiste. Je ne fais pas l’hypothèse d’une mutation à caractère politique. Il n’y a là qu’une simple règle, bête et méchante, connue de tous, et qu’il est normal d’appliquer.

La règle en question semble pourtant se prêter à une interprétation inverse, dans le cas de Marie-Odile Bertella-Geffroy…

Une fois rappelée la position de principe, je pense en effet qu’en l’espèce le formalisme ne doit pas s’imposer aux questions de fond que soulève cette mutation. Imposer une mesure de mobilité n’a pas de sens dans le cas de Marie-Odile Bertella-Geffroy : elle est à moins de deux années de la retraite, et il faut tenir compte de l’extrême lourdeur des dossiers dont elle a la charge. Et deux ans semblent être une durée suffisante pour boucler l’énorme affaire de l’amiante, qu’elle porte depuis des années. Les règles, on sait toujours les contourner quand on le veut ! La justice a été confrontée à un cas similaire avec le juge antiterroriste Bruguière : le pouvoir politique souhaitait qu’il garde la main sur ses dossiers sans préjudice pour sa carrière, on a créé pour lui un poste de premier vice-président de section d’instruction sans lui imposer de mutation. Ne peut-on faire preuve d’une créativité semblable pour Marie-Odile Bertella-Geffroy, eu égard à la lourdeur des affaires qu’elle traite ? Il faut trouver une solution qui ne la pénalise pas.

Mais la magistrate se plaint d’être dépourvue de moyens pour parvenir au bout de ses dossiers. Qu’est-ce que cela changerait ?

Le fait de changer de juge est parfois inéluctable. Il faut s’y préparer, c’est de la bonne gestion. Cela signifie qu’il faut lui permettre d’achever ses dossiers avant son départ. À défaut, la perte serait pratiquement irrattrapable, Marie-Odile Bertella-Geffroy est la seule à avoir mené l’instruction, elle a tout en tête. Il est donc impératif de nommer immédiatement deux jeunes juges en codésignation afin de préparer la prise de relais. Ce qui aurait du sens, dans cette histoire, c’est d’assurer la continuité des dossiers de la magistrate. Il n’est pas difficile de considérer que la conclusion de dossiers aussi importants que l’affaire de l’amiante ou de l’hormone de croissance est d’intérêt public national.

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