Mondialisation : la petite brèche des paradis fiscaux

L’évasion fiscale peut-elle ébranler l’édifice néolibéral ?

Gérard Duménil  • 25 avril 2013 abonné·es

Au-delà d’une indignation bien compréhensible, l’affaire Cahuzac doit être perçue comme le révélateur de tendances plus profondes. Sont en jeu, simultanément, certains aspects de la mondialisation néolibérale et certains effets de la crise actuelle. Il faut d’abord comprendre que les paradis fiscaux ne sont que la face émergée d’un iceberg de taille, celui de la mondialisation financière. Le néolibéralisme, dont la finalité politique est la consolidation des intérêts des minorités privilégiées, à savoir les propriétaires capitalistes et les hauts gestionnaires, a organisé, avec succès selon ses critères, une vaste métamorphose aux multiples aspects. Une de ses composantes est la libre circulation des capitaux qui permet aux entreprises d’investir là où bon leur semble et, plus généralement, aux placements financiers de se jouer des frontières. C’est le système financier tout entier qui s’est mondialisé. Un de ses aspects les mieux connus est la constitution d’un système bancaire mondial. En 1977, les actifs étrangers détenus par les banques dans le monde représentaient 9 % de la production mondiale ; en 2008, lorsque la crise a éclaté, ce pourcentage avait atteint 59 %. Les banques prêtent à des agents de leur propre pays, mais les prêts à des agents d’autres nationalités se sont développés de manière explosive. Par exemple, les prêts par des banques d’autres nationalités aux seuls BRICs (Brésil, Russie, Inde et Chine, plus la Corée du Sud) ont été multipliés par plus de 4 entre 2003 et 2008. Et, bien au-delà de ces relations de crédit bancaire, la mondialisation financière est devenue un gigantesque dispositif où les capitaux volent d’un lieu à l’autre en quête de la meilleure rentabilité dans un système de gestion des patrimoines qui va des grandes institutions spécialisées à un réseau inextricable de fonds spéculatifs et de petites sociétés. Comment, dans un tel contexte, garder la maîtrise des obligations fiscales ? L’affaire Cahuzac a bien fait ressortir que les tentatives de localisation de ces avoirs, en Suisse ou ailleurs, ont donné l’opportunité aux institutions financières concernées de vendre un service de plus à leurs clients, en leur ouvrant la capacité à déplacer leurs avoirs dans des lieux plus reculés.

Quel rapport avec la crise actuelle ? Il serait vain d’imaginer que nos gouvernants de droite ou de prétendue gauche s’en prennent de front aux méfaits du néolibéralisme, dans ses aspects nationaux ou internationaux. Mais ils sont rattrapés par un effet pervers de leurs politiques – de leur incapacité à traiter directement les facteurs de la crise –, par la croissance des dettes publiques. Et là, malgré l’aveuglement délibéré, les paradis fiscaux finissent par faire problème. Les États-Unis s’alarment et tentent de freiner l’hémorragie. Comment rester la puissance dominante, financer l’armée la plus puissante du globe, si les grandes entreprises localisent leurs sièges à l’étranger, si les citoyens les plus riches échappent à l’impôt ? La France emboîterait-elle le pas ? La petite brèche qu’ouvre l’évasion fiscale serait-elle susceptible d’ébranler l’édifice néolibéral ? Les voies de l’histoire sont détournées.

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