Arte Journal : « Un peu plus loin dans le monde »

À la marge des journaux télévisés, « Arte Journal », tous les soirs à 19 h 45, fait la part belle à l’actualité internationale. Une autre vision de l’information.

Jean-Claude Renard  • 19 septembre 2013 abonné·es

« Ce crétin de David Pujadas qui ne donne même pas les dernières news/Coup d’État/Égypte, comme l’a fait Gilles Bouleau ! Écœuré ! » Ce tweet était signé Bruno Masure, un brin en colère, le 3 juillet dernier. Ce soir-là, le JT de France 2 s’ouvre sur l’abdication du roi des Belges, Albert II, tandis que l’état-major de l’armée égyptienne destitue son président Morsi. Une destitution qui fait l’ouverture du journal de TF1, présenté par Gilles Bouleau. Le lendemain, interviewé dans le supplément télé du Figaro, en ancien présentateur du JT, Masure persiste : « C’est du sous- Ici Paris […]. Je suppose que c’est un choix de Pujadas, qui adore le spectaculaire, le fait divers et un peu le crapoteux. Il part d’un principe que je connais bien, et que partagent souvent les rédacteurs en chef, disant que la politique étrangère fait chier tout le monde. »

L’absence du fait divers (non pas qu’il faille supprimer le genre, mais le traiter sans voyeurisme ni instrumentalisation) et une place essentielle laissée à l’actualité internationale, telles sont les marques de fabrique d’« Arte Journal ». Un JT de vingt minutes, quotidien, à 19 h 45, présenté en alternance par Marie Labory et Leïla Kaddour-Boudadi, diffusé pareillement en Allemagne, ouvertement « européen, international et culturel ». Avec une rédaction installée à Strasbourg (huit journalistes), un bureau à Paris, un autre à Berlin, des reporters, des pigistes, des collaborateurs réguliers un peu partout dans le monde. Car la volonté du journal, et son identité, depuis sa création en 1992, c’est d’aller « regarder un peu plus loin dans le monde, et plus particulièrement la marche des pays européens, confie Marco Nassivera, directeur de l’info à Arte. Cela suppose des impasses, complètement assumées et revendiquées », du fait divers donc, au sport, jusqu’aux sujets franco-français ou germano-allemands. « Les gens qui veulent être informés sur la disparition d’un enfant ou un carambolage en France ou en Allemagne ont assez de chaînes pour ça. Qu’est-ce que la proximité pour une chaîne qui n’est pas nationale ? Si un fait divers à Limoges n’a pas vocation à expliquer la France, en quoi peut-il intéresser notre public en Allemagne ou en Belgique ? » Dans le même esprit, le sport n’est traité que dans sa dimension sociétale, économique ou géopolitique, dépourvu de résultats sportifs. Autre particularité : pas ou peu d’invités en plateau. Difficile d’accorder cinq minutes à une personnalité, ce qui représenterait un quart du journal ; difficile aussi de faire venir un invité à Strasbourg pour ces cinq seules minutes. Ces derniers jours, la place majeure revient à la Syrie, aux élections allemandes, traitées à travers différentes thématiques et le regard d’autres Européens, aux risques de stigmatisation de la charte Peillon, à l’avenir politique de Berlusconi, à l’inquiétude suscitée en Norvège par l’alliance de l’extrême droite et des conservateurs, et à l’Égypte encore. « On peut se permettre de suivre des dossiers, poursuit Marco Nassivera. On n’a pas peur de revenir cinq ou six jours d’affilée sur un sujet, parfois en apportant un décalage, en ouvrant par exemple une fenêtre sur l’Équateur. Cela peut surprendre agréablement le public, pour qui le monde ne s’arrête pas à la banlieue parisienne ou à celle de Hambourg. » À la culture de clore chaque JT.

La preuve par l’image : mercredi 11 septembre, « Arte Journal » s’ouvre sur la Syrie [^2] et les manœuvres politiques orchestrées par Moscou, tandis que sur le terrain « les forces de Bachar al-Assad poursuivent leur funeste dessein », avant de passer aux nouveaux embrasements en Turquie puis aux élections allemandes vues par une jeune députée espagnole d’extrême gauche, à Valence. Et de terminer par un éloge du film Tip Top de Serge Bozon. Foin de mièvreries, de spectacularisation, d’accident routier, de reportages orientés ou d’invité faisant sa promo. C’est « Arte Journal ». Et c’est sur la touche 7 de la télécommande.

[^2]: Ce même soir, David Pujadas consacre 7 minutes et 20 secondes de son JT au bijoutier abattant son braqueur à Nice, élargit le sillon avec le témoignage d’un bijoutier bordelais réclamant plus de peines lourdes pour les malfaiteurs. Au moment où se dessine la réforme pénale. Un hasard sans doute.

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