2013 : La presse touche le Front

Pauline Graulle  • 31 octobre 2013
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VSD, 17 octobre

« Et Marine prit le pouvoir »

Dans ce dossier de politique-fiction de très mauvais goût, VSD se demande à quoi ressemblerait la France si « la championne des oubliés » était élue en 2017. L’article « Et Marine prit le pouvoir » décrit un pays qui ressemblerait, peu ou prou, à un vaste champ de bataille. Mais le mal est fait avec ce grotesque photomontage qui présente, sur une demi-page, la pseudo-photo officielle de Marine Le Pen, présidente de la République. VSD, 140 000 lecteurs, n’en est pas à son premier coup de pub pour le FN. Le 12 septembre, il publiait un reportage intitulé « La FN academy » : « Ils sont jeunes, ils sont beaux, et prêts à porter les couleurs de Marine Le Pen  [aux municipales]  », annonçait l’hebdo en une, reprenant une photo directement pêchée – pourquoi se priver ? – sur le site des jeunes du FN. S’ensuivaient les portraits de ces jeunes têtes de liste FN, photographiés style télé-réalité : Adrien Grosjan, « le patriote à la gueule d’ange », Kévin Goslin, « romantique qui aime les vieux films » ou encore Julia Abraham, « joli brin de fille » dont « les deux parents sont tombés amoureux lors d’un meeting de Jean-Marie Le Pen ». Émouvant ! Évidemment, pas un mot sur le jeune candidat de Nîmes, assigné en justice pour avoir laissé proliférer des injures racistes sur son profil Facebook – il écopera de 3 000 euros d’amende. Cela aurait fait tache dans ce beau tableau !

Le Nouvel Observateur, 10 octobre

« Le premier parti de France »

Qu’importe si l’Obs a décroché une interview « exclusive » du président de la République – précisément, sur la montée des populismes en Europe… Ce 10 octobre, c’est quand même Marine Le Pen qui soutient la une ! Le profil visionnaire de la présidente du FN est surmonté d’un énorme « 24 % », le chiffre choc sorti de ce sondage éminemment contestable (voir p. 20) qui ferait du FN « le premier parti de France ». À côté d’une pleine page montrant une Marine Le Pen, les yeux clos d’extase – sainte Thérèse d’Avila n’a rien à lui envier ! –, un long papier constate que le « pouvoir d’attraction  [du FN] est sans limite ».  Au lieu de prophétiser que « le pire est à venir », l’hebdo de gauche n’aurait-il pas pu rappeler que Damien Philippot, frère de Florian Philippot, le bras droit de Marine Le Pen, est responsable des études politiques à… l’Ifop ?

Le Parisien, 15 septembre

« L’offensive »

Regard profond et cœur turquoise autour du cou, Marine Le Pen « la tentatrice » pose à la une du Parisien. Dans un minuscule édito, le directeur adjoint de la rédaction a beau souligner que, contrairement aux apparences, « Marine Le Pen n’est pas si populaire » … Entre le passage en revue des « nouveaux électeurs qu’elle séduit déjà » (fonctionnaires, jeunes, syndicalistes, seniors) et le reportage à l’université d’été du parti à Marseille, où « c’est tout le Front national qui se voit pousser des ailes », la mise en scène des trois pages suivantes sur « l’offensive » du FN persuade de l’exact contraire. L’interview du politologue Pascal Perrineau, qui reconnaît que les expériences des municipalités frontistes de Toulon ou Vitrolles n’ont pas été « une franche réussite » (sic), ne fait pas le poids. Comme le fouillis des pourcentages issus du sondage BVA indiquant pourtant que 67 % des interrogés ne voteront « en aucun cas » pour Marine Le Pen en 2017. Dommage.

Libération week-end, 12 et 13 octobre

Le malaise

Qu’il semble loin le « NON », au-dessus d’un Jean-Marie Le Pen plus inquiétant que jamais, barrant la une de Libé au lendemain du 21 avril 2002… C’est une Marine Le Pen souriante qui s’affiche en une de Libération. Rayonne-t-elle de bonheur ou ricane-t-elle de malice ? L’ambiguïté, hélas, demeure… Certes, le titre, comme tamponné, a le mérite d’annoncer haut et fort qu’elle est « 100 % extrême droite ». Mais cette couv’ mettra mal à l’aise jusqu’à Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction et ancien des Inrocks, qui se justifie sur Twitter : « La stratégie du boycott  [qui] fut la mienne pendant vingt ans (zéro couv’ des Inrocks),  […] ne fonctionne plus car elle n’a pas été collective. » La défaite par le conformisme. Triste ! Souvenons-nous aussi que, trois mois avant la présidentielle de 2012, Libé titrait que « 30 % n’exclueraient (sic) pas de voter Le Pen ». La grosse faute d’orthographe avait alors presque fait oublier que les « 30 % » du sondage additionnaient les « oui, certainement », les « oui, probablement », et… les « non, probablement pas ». Parfois, ce qui est statistiquement vrai est journalistiquement scandaleux.

Publié dans le dossier
FN : Les médias complices ?
Temps de lecture : 4 minutes
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