En finir avec la fiscalité écologique ?

Les bonnets rouges sont les relais des classes productivistes.

Jérôme Gleizes  • 14 novembre 2013 abonné·es

Les premiers économistes, de Smith à Marx, ont justifié la valeur des marchandises par la quantité de travail incorporée dans celles-ci. La richesse produite provient du travail, que celui-ci soit exploité ou non. Le capital est alors vu comme du travail mort, c’est-à-dire comme du travail ancien cristallisé. Partant de là, tout impôt est un prélèvement monétaire direct sur la richesse produite ou sur les revenus distribués, et indirectement à travers la consommation. Pour les économistes « vulgaires [^2] », le travail est un coût, et tout prélèvement, comme les cotisations sociales ou la fiscalité écologique, est une atteinte à la profitabilité des entreprises. La compétitivité se fait uniquement au niveau des prix, dans une vision d’un marché globalisé. Ces approches nient l’écologie. Les ressources non renouvelables ne peuvent se ramener à une quantité de travail. Les externalités négatives induites par l’activité humaine, comme les pollutions, ont pris une telle importance que nous parlons aujourd’hui d’une nouvelle ère : l’anthropocène [^3].

Le débat actuel sur l’écotaxe, en réalité une taxe poids lourds, dans une période de hausse générale des impôts, est en train de tuer l’idée même de contribution écologique. Si, pour Bercy, c’est une simple recette, pour les écologistes, c’est la contribution d’acteurs de la société à la dégradation de l’environnement, aujourd’hui à la charge de la collectivité. Le pollueur doit débourser ce que la société paye pour la restauration de la nature, pour la dégradation du climat, pour la destruction des ressources naturelles… Il existe une seule planète ! Or, aujourd’hui, notre empreinte écologique est de quatre planètes. La contribution climat-énergie, la taxe générale sur les activités polluantes, l’écofiscalité sont plus que des prélèvements effectués par une puissance publique. Elles ne visent pas uniquement à modifier les comportements des acteurs économiques, comme le pense la théorie néoclassique. Elles permettent de faire payer l’usage gratuit du capital naturel et, en l’absence de réglementations, les pollutions ou les dégradations.

En Bretagne, les « bonnets rouges » veulent se faire les hérauts de la colère populaire contre l’injustice fiscale, mais ils ne sont que les relais des classes productivistes qui exploitent l’aliénation des gens, qui profitent des niches fiscales anti-écologiques [^4]. Or, les premières victimes des crises écologiques, ce sont les classes populaires, dont l’espérance de vie est la plus faible, dont l’alimentation est la plus déséquilibrée et les conditions de vie les plus dégradées. Travailler dans un abattoir industriel, c’est être condamné par tous les pays à bas salaires à vivre dans la misère et en mauvaise santé dans un espace pollué. Une nouvelle fois, l’actualité nous montre que le gouvernement Ayrault ne comprend pas la nature de la crise et par conséquent cède aux lobbies productivistes. Il est plus que temps de mettre en place un nouveau modèle économique en rupture avec le productivisme, et cela passe par la fiscalité écologique tant promise. L’écologie n’est pas le problème mais la solution !

[^2]: Cette expression désigne les économistes qui se limitent à l’analyse des apparences.

[^3]: Lire « La politique au temps de l’anthropocène », édito du journal Cerises n° 190.

[^4]: Voir l’appel lancé par le Réseau action climat et la Fondation Nicolas-Hulot : http://stopsubventionspollution.fr/

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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