Punir l’Allemagne ?

Un pays qui comprime sa demande gagne des points au détriment des autres.

Thomas Coutrot  • 21 novembre 2013 abonné·es

Quelle mouche a piqué la Commission européenne ? Voilà M. Barroso qui « ouvre une enquête » sur les excédents commerciaux excessifs de l’Allemagne. « Punir Berlin, flatter les cancres », s’indigne le Monde avec la presse financière. Cela fait pourtant deux ans que la Commission a instauré un mécanisme de surveillance des déséquilibres macroéconomiques dans la zone euro. Il prévoit qu’un excédent dépassant 6 % du PIB doit être corrigé. L’excédent allemand a atteint 7 % en 2012, la Commission ne fait donc qu’appliquer la règle. Mais d’où vient cette règle et quel impact peut-elle avoir ?

Cette règle d’un excédent maximum résulte de la pression des pays du Sud sur la Commission européenne. Les oligarchies espagnoles, grecques, portugaises ou italiennes ne sont pas mécontentes de pouvoir profiter de la crise de l’euro pour imposer à leurs peuples des réductions des dépenses publiques et des salaires, mais il devient de plus en plus difficile de faire accepter ces politiques par leurs populations. Si l’Allemagne pouvait augmenter un peu ses importations (par exemple en augmentant les salaires) pour les aider à sortir de l’ornière, cela leur donnerait quelques marges de manœuvres politiques. Mais pourquoi la limite a-t-elle été fixée à 6 % ? Il n’y a aucune raison économique : simplement l’exigence des dirigeants allemands que le chiffre se situe au-dessus des excédents habituels du pays. Il eût été plus favorable à l’emploi de fixer un déficit public maximum de 6 % et un déséquilibre commercial maximum de 3 % du PIB que l’inverse. Car tout excédent commercial durable et important se traduit par des déficits symétriques chez les partenaires commerciaux et par un accroissement insoutenable de dettes. Ainsi, la Bundesbank a accumulé plus de 500 milliards d’euros de créances sur les banques centrales d’Europe du Sud (incluant la France), et le déséquilibre ne cesse d’augmenter.

Cette règle signifie-t-elle que la Commission est prête à mettre la pression sur l’Allemagne pour pouvoir la relâcher sur les pays en difficulté ? On peut en douter, car les politiques d’austérité menées dans le sud de la zone euro ont un objectif majeur qui fait consensus dans les oligarchies européennes : au nom du rétablissement de la compétitivité (notamment face à l’Allemagne), il s’agit de raboter au maximum les niveaux des salaires et des protections sociales. Tous cherchent à imiter les politiques de compétitivité menées par Schröder, le SPD et les Verts, dans les années 2000. C’est aussi le modèle promu inlassablement par le FMI depuis trente ans sous le nom « d’ajustement structurel » et pratiqué par le gouvernement Bérégovoy sous le nom de « désinflation compétitive ». Regagner des parts de marché sur les concurrents européens et mondiaux, tel est aussi désormais l’alpha et l’oméga de la politique française. Pourtant, l’expérience des trente dernières années prouve que la recherche généralisée de compétitivité ne peut fournir un modèle économique durable. Quand chaque pays comprime sa demande interne pour être compétitif et exporter son chômage, il peut gagner des points de croissance, mais au détriment des autres. Cette croissance ne peut être qu’inégalitaire et chaotique. Inégalitaire, car la compression des salaires profite aux détenteurs du capital. Chaotique, car la bulle de l’endettement privé, qui permet de soutenir la consommation malgré la stagnation ou la baisse des salaires, débouche sur des crises inéluctables.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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