Hommage : Jean-Luc Einaudi, défricheur de mémoire

L’auteur de la Bataille de Paris, sur le massacre du 17 octobre 1961, est mort le 22 mars.

Olivier Doubre  • 27 mars 2014 abonné·es

Il ne voulait pas du titre d’historien. Ce n’était d’ailleurs pas sa profession, lui qui voua toute sa vie aux mineurs délinquants (auxquels il consacra un ouvrage en 1995) comme éducateur. Il écrivait seulement par engagement, défrichant, en enquêteur tenace, de nombreuses pages oubliées ou volontairement tues de la guerre d’Algérie. Jean-Luc Einaudi s’est éteint samedi 22 mars, terrassé par un cancer. Né en 1951, d’origine modeste, il ne se mit à écrire que dans les années 1980, après avoir milité d’arrache-pied au sein du petit et rigide Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF, maoïste). Ce sont ses rencontres avec Claude Bourdet ou Pierre Vidal-Naquet, aînés engagés contre les guerres coloniales, qui l’amènent à s’intéresser à ce que l’on ne nommait encore que les « événements d’Algérie ».

Après (entre autres) une biographie de Maurice Laban, rare propriétaire terrien pied-noir à avoir épousé la cause de l’indépendance algérienne (tué par l’armée française en 1956), il publie en 1991 son maître-ouvrage, qui bouleversa à jamais la mémoire hexagonale sur cette période. Fruit d’une longue et minutieuse enquête, la Bataille de Paris  [^2] révéla à l’opinion le massacre d’Algériens – jusqu’alors largement occulté – en octobre 1961 dans les rues de la capitale. Ce jour-là, la police parisienne commandée par Maurice Papon réprima dans une extrême violence la manifestation pacifique de familles d’immigrés algériens qui dénonçaient le couvre-feu raciste à leur encontre. Ce travail lui valut de témoigner au procès contre l’ancien préfet de police pour la déportation, en 1942, des Juifs de Bordeaux. Mais il lui valut aussi d’être à son tour attaqué en justice par Papon. Là encore, et comme pour bien d’autres de ses ouvrages (sur la guerre d’Indochine, ou sur Fernand Yveton, militant communiste algérois guillotiné en 1957), sa voix fut sans cesse celle d’un précurseur, rompant, infatigable, le silence sur des injustices et des ignominies tues de la mémoire nationale.

[^2]: Seuil, 1991, nouv. éd. augm. Fayard, 2011.

Idées
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