Afghanistan : L’option sécuritaire en question

À la veille de l’élection présidentielle, les Afghans doivent faire le choix entre deux stratégies face à la menace d’un retour des talibans : la négociation ou le maintien militaire des États-Unis.

Clémence Duneau  • 3 avril 2014 abonné·es

Appelés aux urnes le 5 avril, les Afghans n’auront pas seulement à choisir entre huit candidats. Il s’agira pour le pays de se prononcer sur la stratégie du futur gouvernement devant la menace d’un retour des talibans. Ces élections, qui marquent la fin de dix ans de présidence d’Hamid Karzaï, sont aussi, selon la formule de Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), « un tournant historique, s’agissant du premier transfert de pouvoir de façon pacifique dans l’histoire du pays » .

Une étape d’autant plus importante qu’elle coïncide avec le retrait des troupes de l’Otan, après plus de douze ans de présence dans la région. Mais, si les États-Unis estiment qu’il est temps de passer la main au gouvernement afghan, la situation est loin d’être stabilisée. Avec une économie en ruine et des forces militaires sous-armées et peu organisées, la question est de savoir si les élections peuvent être suivies d’un début de stabilisation ou si, au contraire, le pays est condamné à replonger dans la guerre civile. Selon Karim Pakzad, « ni financièrement, ni politiquement, ni militairement, l’État n’est capable de maintenir la sécurité du pays ». Pour l’anthropologue Georges Lefeuvre, consultant pour Af-Pak Research, « le retrait des troupes internationales crée un trou d’air incroyable dans lequel les forces insurrectionnelles vont pouvoir s’engouffrer ». Alors que le président Karzaï continue, sans succès, à vouloir négocier avec les talibans, ces derniers s’emploient, selon Georges Lefeuvre, « à constituer un front commun, en attente d’une vacance du pouvoir ». S’il est vital pour la communauté internationale de maintenir la sécurité après 2014, deux stratégies semblent s’opposer : l’option politique centrée autour des négociations et l’option militaire par le maintien de la « lutte contre-insurrectionnelle ».

Samedi 29 mars à Kaboul. Il est midi quand un groupe de combattants talibans ouvre le feu sur le siège de la Commission électorale indépendante (IEC), organisme chargé de veiller au bon déroulement des élections. Après six heures de combat, les forces de sécurité afghanes ont finalement neutralisé les cinq assaillants. Cette nouvelle opération des talibans, qui a également touché les locaux de la mission de l’ONU en Afghanistan (Unama), n’a fait aucune victime parmi les civils. Mais la fréquence et la violence des attaques dirigées contre les instances électorales et internationales inquiètent de plus en plus les observateurs nationaux et internationaux sur le déroulement du scrutin du 5 avril.

Les résultats de ces élections détermineront notamment la position de l’Afghanistan sur la question de l’Accord bilatéral de sécurité avec les États-Unis. Cet accord vise à permettre le maintien de 10 000 soldats américains sur le territoire, et à accorder pour une période d’au moins dix ans une aide au développement. Si Hamid Karzaï a vivement résisté à la signature de cet accord, il est fort probable qu’au contraire le nouvel élu le ratifiera. Sur les 87 candidats, il n’en reste plus que 8 aujourd’hui. Le favori des Occidentaux restant Zalmay Rasoul, dernier ministre des Affaires étrangères, soutenu par l’ex-candidat et frère aîné du Président, Abdul Qayum Karzaï. Si, pour l’instant, Zalmay Rasoul semble avoir les faveurs des Occidentaux, George Lefeuvre émet cependant quelques réserves. D’après lui, « il n’est pas certain qu’une candidature aussi “lisse” puisse soulever l’empathie de foules devenues soudain unanimes ». Son opposant direct, le docteur Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires étrangères et candidat aux élections de 2009, dispose quant à lui d’un fort appui chez les Tadjiks et les Pachtounes, les deux principales ethnies, qui pourraient lui assurer la victoire. À ce jour, c’est cependant Ashraf Ghani, un économiste réputé, qui est placé en tête des intentions de vote au premier tour par le bureau international d’études spécialisé sur l’Afghanistan ATR Consulting.

Les observateurs internationaux attendent avec inquiétude les résultats du premier tour. Les groupes talibans l’ont annoncé le 10 mars dernier : ils mettent tout en œuvre pour perturber le déroulement des élections. Ces deux derniers mois de campagne présidentielle ont été régulièrement marqués par des attaques visant les étrangers et les institutions électorales, tuant de nombreux civils et policiers. Ces derniers jours encore, des bureaux de la commission électorale ont été attaqués à Kaboul, à Kunduz et à Asadabad. L’impact médiatique de ces attaques est d’autant plus fort qu’elles font suite au drame de l’hôtel Serena du 23 mars, à Kaboul, quand neuf personnes, dont un journaliste de l’Agence France presse, Sarda Ahmad, et une partie de sa famille ont péri dans un attentat. L’espoir que conservaient certains observateurs étrangers de voir se dérouler une élection « transparente » et « crédible » s’amenuise. Déjà, les organismes américains de l’Institut national démocratique, qui ont perdu un délégué dans l’attaque du 23 mars, et la Fondation internationale des systèmes électoraux ont renoncé à poursuivre leurs missions face à la trop grande insécurité.

À l’heure de la passation de pouvoir des forces internationales aux autorités afghanes, il est difficile d’imaginer que le nouvel élu dispose des moyens de relancer l’économie et de sécuriser la région après 2014. Si ces élections peuvent donner au nouveau chef d’État une légitimité bienvenue au sein de la communauté internationale, il est peu probable, comme le souligne Georges Lefeuvre, qu’un « homme providentiel possède la réponse aux turbulences de l’Afghanistan après 2014 ». Au total, ces incertitudes qui pèsent sur le scrutin et sur le devenir de l’État témoignent de l’échec cuisant d’une guerre lancée par les États-Unis de George W. Bush en 2001.

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