« La réforme territoriale de Valls peut anticiper les défaites du PS »

ENTRETIEN. Avec sa réforme, Manuel Valls n’oublie pas de redécouper la carte électorale à l’avantage de son parti, analyse Aurélia Troupel de l’université de Montpellier.

Pauline Graulle  • 14 avril 2014
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« La réforme territoriale de Valls peut anticiper les défaites du PS »

Spécialiste des modes de scrutin, Aurélia Troupel, maître de conférence en Sciences politiques à l’université de Montpellier 1, livre son sentiment sur la réforme territoriale annoncée par Manuel Valls dans son discours de politique générale, le 8 avril.

Que pensez-vous des annonces de Manuel Valls concernant le redécoupage territorial ?

Aurélia Troupel: Pour l’Assemblée des Départements de France (ADF), cela a été un coup de bambou : les élus n’étaient pas du tout préparés à s’entendre dire par Manuel Valls qu’ils disparaîtraient en 2021. En réalité, les conseils généraux sont en sursis depuis 2008, année à laquelle a débuté une réforme territoriale un peu « désarçonnante » pour tout le monde car elle se prolonge sans fin… Après, est-ce que Valls tiendra parole ? Il peut avoir sciemment annoncé des mesures radicales pour ensuite donner l’impression qu’il lâche du leste.
Mais il faut savoir que les redécoupages territoriaux ont moins pour but de faire des économies que de redécouper la carte électorale à l’avantage du pouvoir en place. Pourtant, certaines de ces réformes ont un impact réel sur la démocratie. Par exemple, la loi du 17 mai 2013 visant à « lisser » les règles électorales dans les communes entre 1 000 à 3 500 habitants (plus de panachage, formalisation de certains us et coutumes…) a conduit, aux dernières municipales, à davantage de votes blancs et à une plus forte abstention dans des communes d’habitudes participationnistes : les gens n’y comprenaient plus rien…

Que vont devenir les compétences qui étaient du ressort des départements : distribution de l’Aide pour l’autonomie (APA), du RSA, mises sous tutelle… ?

Soit elles seront recentralisées, mais c’est impensable vu les finances de l’Etat ; soit elles seront confiées aux métropoles et aux intercommunalité, ce qui est bien plus probable. En réalité, ce qui menace la survie des départements, c’est la création des métropoles (meilleur exemple : la Métropole de Lyon qui engloutit le département du Rhône) ainsi que la place de plus en plus prépondérante prise par les intercommunalités, depuis leur généralisation en 2001. Le problème, c’est que le périmètre des intercommunalité (communautés de communes, communautés d’agglo…) est changeant, mal défini, peu compréhensible, et diffère selon les territoires. Résultat, c’est insaisissable politiquement et difficile à appréhender pour les citoyens. Le département a ce mérite d’être identifié, d’avoir une lisibilité et une histoire pour les citoyens qui y sont attachés (la preuve, la suppression du numéro du département sur les plaques d’immatriculation a suscité beaucoup de réactions).

N’est-ce pas illogique d’avoir changé le mode de scrutin des élections départementales (ex-cantonales) l’an dernier et de condamner, quelques mois plus tard, les départements ?

Si. Mais la réforme du scrutin des élections départementales [le nouveau nom des élections cantonales à partir de 2015, NDLR] servait en grande partie à apaiser la grogne des élus locaux qui ont très mal vécu la loi du 16 décembre 2010 de Nicolas Sarkozy visant à instaurer un « conseiller territorial » unique – il a d’ailleurs dû s’en mordre les doigts car cette loi lui a valu de faire passer le Sénat à gauche. L’une des premières lois qu’a fait passer François Hollande a donc été d’abroger le fameux conseiller territorial. Dans la foulée, il a saisi cette opportunité pour réformer le mode de scrutin des conseils départementaux [ex-conseils généraux, NDLR] – seul mode de scrutin à n’avoir pas changé depuis sa création en 1871 !
Au prétexte de la parité – il y a, il est vrai, très peu de femmes conseillers généraux –, le PS a sorti des cartons le scrutin binominal, qui est un scrutin inédit. Concrètement, cela veut dire que les électeurs trouveront sur un même bulletin de vote deux candidats : un homme et une femme. Ils éliront ce binôme, chaque membre exerçant ensuite son mandat séparément. C’est ce que j’ai appelé un « scrutin Velcro »…
Ce nouveau mode de scrutin a créé la panique des élus, surtout à droite, notamment parce qu’ils n’ont pas aujourd’hui un nombre suffisant de candidatures féminines… Quant au PS, il va devoir faire des alliances, avec les Verts ou le Front de gauche, pour trouver lui aussi suffisamment de femmes à présenter. D’autre part, cette réforme a prévu une diminution des cantons afin de stabiliser le nombre d’élus, les cantons ruraux (traditionnellement à droite) étant absorbés par des cantons plus urbains (traditionnellement à gauche). Les socialistes pensaient s’être ainsi taillés un mode de scrutin sur mesure. Mais il pourrait se retourner contre eux. Vu la défaite qu’ils viennent d’essuyer aux municipales, ils pourraient perdre d’autant plus d’élus que le scrutin binominal ne ménage pas de place pour l’opposition puisque le binôme arrivé en tête remporte les deux sièges du canton. C’est d’ailleurs peut-être l’anticipation de cette défaite par Valls qui a guidé ses annonces sur la réforme des collectivités mardi dernier.

Politique
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