Lip, à l’heure de l’autogestion

Une bande dessinée retrace cette lutte ouvrière emblématique des années 1970.

Jonathan Baudoin  • 17 avril 2014 abonné·es

«C’est quelque chose d’être un héros de la classe ouvrière », chantait John Lennon en 1970. Ces paroles décrivent bien Solange, ouvrière spécialisée dans le montage des aiguilles de montre, personnage de fiction d’une BD dont les dessins restituent la lutte pour l’autogestion de l’usine Lip de Besançon. Quarante ans après la fin du conflit, et au travers du quotidien des salariés, le scénariste Laurent Galandon et le dessinateur Damien Vidal ont réalisé un magnifique album, préfacé par Jean-Luc Mélenchon, Bisontin engagé à l’Unef à l’époque des faits.

L’histoire commence en avril 1973, quand le principal actionnaire de Lip, le groupe suisse Ébauches SA, menace de fermer les usines et de mettre à la porte 1 300 salariés. Les menaces sont accompagnées du mépris des administrateurs, venus sur le site de Palente, envers des salariés qu’il faut « dégager ». Ce qui leur a valu d’être retenus en « otages », forçant le préfet du Doubs à mobiliser les CRS pour les faire évacuer. Mais les véritables « otages », ce sont les montres, et les ouvriers grévistes l’ont bien compris, qui planquent leur « trésor de guerre ». Les auteurs ont reconstitué ces scènes du comité d’action proposant une relance de la production avec le slogan : « C’est possible ! On vend, on fabrique, on se paie ! » Une expérience autogestionnaire grandeur nature se met alors en place, montrant qu’une entreprise peut tourner avec des « travailleurs sans patron ». Les ouvriers en lutte ont de l’enthousiasme, retrouvent une certaine dignité dans leur travail et développent une polyvalence dans les tâches, à une époque où le fordisme est dominant. En 1974, les ouvriers finissent par obtenir gain de cause lors des accords de Dole. Claude Neuschwander, membre du Parti socialiste unifié, reprend les activités d’horlogerie de Lip.

Le tour de force des auteurs est de raconter la lutte en s’appuyant sur le personnage de Solange. Non syndiquée, elle semble distante, effacée, résignée quant à son avenir et à celui de l’entreprise. Au fil des pages, elle se révèle pourtant combative, prête à résister avec ses camarades, tout en demeurant fragile. Ainsi, elle est incomprise de ses proches, notamment de son mari, Patrick, qui ne supporte pas ce « véritable repaire de gauchistes », énervé d’être contredit par sa femme devant Yvon, le fils de Solange. Cette histoire qui paraît lointaine, nourrie de l’esprit de Mai 68, est encore actuelle. Le féminisme et l’autogestion restent des thématiques présentes, comme le souligne Claude Neuschwander à la fin de l’album. L’ancien dirigeant de Lip compare cette histoire à la fermeture du site industriel de Florange, victime d’un comportement financier spéculateur. De votre place, avec vos moyens, vous pouvez entrer dans la lutte, dit-il : « N’ayez pas peur, allez-y ! »

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