Grands projets dans une Europe sans projet

Les grands projets inutiles et imposés défient la rationalité.

Geneviève Azam  • 22 mai 2014 abonné·es

Rosia Montana, en Roumanie, a accueilli le quatrième forum international sur les Grands Projets inutiles et imposés (GPII). Ce lieu est devenu le symbole d’une résistance à l’extractivisme, ici une mine d’or pour l’instant mise en sommeil grâce à la mobilisation populaire. D’autres résistances du même ordre se développent dans l’Union européenne, à Thessalonique par exemple, également contre une mine d’or, sans parler des luttes européennes contre l’extraction des huiles et gaz de schiste.

Ces luttes sont emblématiques de l’expansion capitaliste et de la globalisation, qui suppose maintenant une intensification sans précédent de l’extraction des ressources naturelles et minières. Les anciens pays industriels, jusqu’ici essentiellement approvisionnés par des ressources extraites dans leur périphérie, ont affiché leur supériorité en prétendant s’être émancipés de la base matérielle de la production, pour se consacrer à « une économie de la connaissance » version UE, high-tech, propre et dématérialisée. Ils se trouvent désormais acculés à extraire chez eux, à se primariser. Et la guerre économique pour contrôler l’approvisionnement énergétique et les ressources naturelles, dans une Europe qui a fait de la compétitivité l’alpha et l’oméga de la politique industrielle, est sans pitié. Ces luttes sont également emblématiques des résistances à ce qui fait office de politique industrielle européenne. Il s’agit de créer un cadre favorable au développement industriel global et donc de développer les infrastructures de base, notamment celles liées aux transports : aéroports, lignes grande vitesse, méga-ports, gares. La résistance à ces projets est à l’origine du mouvement contre les GPII, qui s’intensifie en Europe et dans le monde. Ceux-ci défient la rationalité capitaliste elle-même. Ainsi, celui concernant l’axe ferroviaire Lyon-Turin – partie d’un méga-projet devant conduire jusqu’à l’Ukraine – est contesté par la Cour des comptes ^2, il est gangrené par la corruption, ses coûts explosent, le concours financier de l’UE est diminué, et pourtant il n’est pas abandonné. Ce sont les États, Italie et France, qui devront financer la différence dans le cadre des partenariats public-privé. Les GPII ne connaissent pas l’austérité, car, au-delà des intérêts privés en jeu, ils constituent l’infrastructure intellectuelle et politique de ceux qui entendent piloter le capitalisme. La compétitivité suppose du grand, du massif, pour réaliser des économies d’échelle. C’est pourquoi, quand l’Union européenne ou la France s’occupent des PME, c’est pour créer un climat favorable à leur élargissement et à leur insertion internationale.

Les résistances et alternatives sur ces projets imposés rejoignent désormais les luttes globales pour la démocratie. À Rosia Romania, des citoyens turcs, s’opposant à la construction d’un méga-pont sur le Bosphore, représentaient aussi ceux de la place Taksim, qui ont initié un mouvement démocratique en Turquie. Pas si surprenant : la démocratie suppose en effet que les sociétés soient capables de s’autolimiter.

[^2]: www.ccomptes.fr/Actualites/Archives/Le-projet-de-liaison-ferroviaire-Lyon-Turin

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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