Aux origines du débat national français

Un ouvrage collectif analyse la construction de la « francité », des colonies à la métropole.

Olivier Doubre  • 19 juin 2014 abonné·es

En 1946, Aimé Césaire, député communiste de Martinique, défendait à la tribune de l’Assemblée nationale la loi dite de départementalisation des « vieilles colonies », celles du premier empire colonial français, dont la conquête remonte à la fin du XVIe siècle : Guyane, îles françaises des Petites Antilles, Réunion… Pour gagner le vote de ses collègues, il insista sur le fait que cette mesure exprimait surtout une volonté « d’assimilation » des populations à la République, encore sous domination coloniale : « Nous n’ignorons pas que bien des objections ont été faites à la notion même d’assimilation. […] Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est par une loi d’assimilation, mieux, d’égalisation, de libérer près d’un million d’hommes de couleur d’une des formes modernes de l’esclavage. Quant à ceux qui s’inquiéteraient de l’avenir culturel des populations assimilées, peut-être pourrions-nous nous risquer à faire remarquer qu’après tout, ce qu’on appelle assimilation est l’une des formes normales de la médiation de l’histoire. »

On sait combien ces « objections » au terme « assimilation » ont évolué, puisqu’on lui préfère aujourd’hui le terme « intégration », lui aussi décrié par certains. Le débat sur les contours ou la conception de la nation française continue à faire couler beaucoup d’encre, en particulier sur l’opposition entre droit du sol et droit du sang. Il est largement exploité par le Front national depuis plus de trente ans, contaminant une partie de la droite française. Mais on connaît bien moins ce qui pourrait constituer les prémices de ce débat sur « la francité », quand la France administra ses premières colonies, trois siècles durant, la plupart reposant sur une économie de plantations esclavagistes.

C’est là tout le mérite de ce travail collectif, dirigé par l’historienne Cécile Vidal, directrice du Centre d’études nord-américaines de l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste du premier empire colonial français outre-Atlantique. Les huit contributions du présent volume explorent les évolutions et les négociations dans ces sociétés multiethniques et en métropole autour du droit de la nationalité. Et s’interrogent, dans ce « laboratoire colonial » comptant les comptoirs africains servant de départ à la traite négrière, les colonies américaines ou les îles Mascareignes, sur cette identité nationale « plurielle, contradictoire et changeante », mêlant la question de l’assimilation culturelle aux rapports de race et de genre, sans cesse rediscutés au cours de ces trois siècles de premier empire colonial français.

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