Olivier Dartigolles (PCF) : « Rendre visible un projet progressiste »
Selon Olivier Dartigolles, le PCF souhaite dépasser le Front de gauche pour construire des rassemblements plus larges. Cela passe par la reconquête d’un imaginaire que Hollande a enlevé à la gauche.
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Troisième invité de notre série d’entretiens avec les courants de la gauche critique, Olivier Dartigolles revient sur ce qui a manqué au Front de gauche et sur les objectifs politiques qu’il doit rebâtir d’ici à 2017.
Comment le PCF analyse-t-il les élections municipales et européennes ?
Olivier Dartigolles : Face à l’extrême gravité de la situation politique – abstention, percée du FN –, notre conseil national a estimé qu’il ne suffirait pas de retrouver la période la plus faste du Front de gauche. Le danger d’une marginalisation durable de toute perspective de gauche dans notre pays est réel ; cela s’est déjà produit dans d’autres pays européens. Nous avons donc décidé d’engager nos efforts dans deux directions : développer la nécessaire riposte à l’orientation politique actuelle ; mettre en discussion le projet qui permettra à notre pays de sortir de la crise et sur lequel nous pourrons construire le rassemblement à gauche. Avec la conviction que la situation de décomposition politique nous commande de faire preuve d’innovation et d’audace dans les rassemblements à construire.
Vous préconisez de dépasser le Front de gauche ?
Sans l’existence du Front de gauche, la situation politique à gauche serait totalement sinistrée. Et j’ai le sentiment que ses composantes convergent sur la nécessité de ne pas le « bunkeriser ». Il n’y a aucune fatalité à ce que les politiques menées nous conduisent, en 2017, à n’avoir le choix qu’entre un candidat porteur de l’orientation actuelle, l’UMP et le FN. Le Front de gauche peut faire dérailler ce scénario et agir, avec d’autres, sans préalable, pour remobiliser les forces de gauche sur ses valeurs, ses combats et de grandes propositions d’avenir. Il nous faut revoir son mode de fonctionnement, mais surtout rebâtir des objectifs politiques.
Le Front de gauche ne paie-t-il pas un manque d’unité ?
Sur la dernière période, le Front de gauche a donné l’image d’une coalition de partis discutant prioritairement de stratégie électorale. Résultat : on a manqué à notre pays. Et ce au moment où beaucoup de gens, qui avaient voté pour François Hollande au second tour de la présidentielle, vivaient, mois après mois, les renoncements, les trahisons et l’aggravation de la crise économique et sociale. La question n’est pas d’être la meilleure opposition de gauche, mais d’agir pour des majorités et la mise en œuvre d’une autre politique.
Vous êtes déçus par les « frondeurs » du PS ?
Vouloir que ceux que nous appelons au rassemblement pensent aujourd’hui, au millimètre près, ce que nous pensons et qu’ils aient des votes comparables aux nôtres reviendrait à fonctionner comme par le passé, sur le mode des injonctions. Les députés « frondeurs » ont posé des questions intéressantes, dont il faut débattre. Il ne faut pas oublier non plus les électeurs du PS. Des pans entiers de cet électorat sont opposés à Hollande et Valls.
Et EELV ?
Après la décision politique de sortir du gouvernement, il existe en son sein un vrai débat sur l’échec de la politique du gouvernement et celle qu’il faudrait mener. Dans son électorat, comme dans l’électorat socialiste, perce le sentiment d’une urgence à changer de cap. La direction d’EELV mesure cela. La récente rencontre avec la direction d’EELV est intéressante, nous poursuivrons les échanges lors de leurs journées d’été à Bordeaux. Mais je note qu’en six mois, que ce soit à EELV ou au PS, le débat qui était plutôt cadenassé s’est ouvert.
Les reports de voix à gauche, même en cas de menace du FN, n’ont plus rien d’automatique. Qu’en dites-vous ?
Tout ce qu’on pouvait dire sur la nécessité de barrer la route au FN pour la défense des valeurs républicaines ne fonctionne plus. Je pense même que ce discours sur les libertés et la défense de la démocratie que l’on oppose le plus souvent au FN est aujourd’hui contre-productif. Ce dont Marine Le Pen se nourrit le plus, c’est de l’absence de perspective positive sur les questions qui taraudent le plus grand nombre (pouvoir d’achat, salaires, peur du déclassement). Si nous ne parvenons pas à rendre visible, par des initiatives nationales et l’ancrage d’assemblées citoyennes dans le pays, un projet progressiste fort d’ici à 2017, on prendrait le risque que la question de l’alternative soit portée par le FN.
Cette alternative, pour être crédible, ne doit-elle pas être autonome du PS ?
Quand nous disons vouloir construire les rassemblements les plus larges à gauche sur les grandes questions sociales, économiques, environnementales et démocratiques, cela ne passera évidemment pas par des discussions avec ceux qui veulent accélérer la mue du PS en parti démocrate. Simplement, il ne faut rien s’interdire pour s’adresser directement aux militants et aux sympathisants du PS. On a besoin de retrouver un imaginaire que Hollande et Valls ont enlevé à la gauche, d’être capables de dire quelles sont les grandes conquêtes de demain, et faire en sorte, que toutes les sensibilités de la gauche en soient. Se rassembler, discuter et agir ensemble pour la France et pour la gauche.