Représailles contre les frondeurs

Une commission d’enquête à l’Assemblée nationale a été le théâtre de règlements de comptes au sein de la majorité.

Thierry Brun  • 10 juillet 2014 abonné·es
Représailles contre les frondeurs
© Photo : AFP PHOTO / PIERRE VERDY

Tout commence le 1er juillet. À peine sortie de la séance d’installation de la nouvelle commission d’enquête « sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail », Jacqueline Fraysse, députée Front de gauche des Hauts-de-Seine, monte au créneau. « Nous avons assisté à une situation inédite et surtout inadmissible », déclare-t-elle dans un communiqué. En cause, Bruno Le Roux, nouveau président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, qui ne recule devant rien pour écarter les frondeurs socialistes de cette commission d’enquête, laquelle doit « procéder à une évaluation de la loi » de 1998 sur les 35 heures. Constituée par l’Assemblée nationale le 11 juin, sur proposition du groupe UDI, la présidence de cette commission est confiée au centriste Thierry Benoit.

Les choses se corsent lorsqu’intervient la désignation du rapporteur, ce 1er juillet donc : « La tradition veut qu’à la tête d’une commission le pluralisme sévisse. Le représentant de l’UDI en est le président et un membre de la majorité est désigné rapporteur », explique Jacqueline Fraysse. Or, Bruno Le Roux « a refusé de mettre aux voix les candidatures au poste de rapporteur au prétexte que “le groupe socialiste ne s’était pas mis d’accord sur le nom de ses candidats” ». Un nom circulait pourtant, celui de Barbara Romagnan, députée PS frondeuse. Jacqueline Fraysse a dû intervenir en séance à l’Assemblée nationale, le soir même, pour adresser aux socialistes et à Thierry Benoit un rappel au règlement : « Depuis quand le président d’une commission peut-il décider de ne pas appliquer le règlement et de ne pas soumettre au vote les candidatures ? Depuis quand les votes sont-ils remplacés par des conciliabules dans les couloirs avec le président du groupe majoritaire ? Je souhaite que lors de sa prochaine réunion, la conférence des présidents se saisisse de cette situation. » Mais en coulisses, les manœuvres continuent. À la demande de Bruno Le Roux, la réunion de la commission d’enquête est suspendue le jour même de son installation par Thierry Benoit, lequel regrette que l’Assemblée soit « l’otage des profonds désaccords au sein de la majorité », et l’élection de sa rapporteure est reportée au 8 juillet. Derrière ces escarmouches, le président du groupe socialiste vise bien Barbara Romagnan. « J’avais été porte-parole du groupe lors du débat en séance le 11 juin, lorsque la commission avait été constituée, et la pratique aurait donc voulu que ce soit moi qui sois rapporteure », explique-t-elle. « Mais Bruno Le Roux en a décidé autrement, sans m’en avertir, et il a demandé la suspension de la réunion pour éviter que je sois élue. » Au sein du groupe socialiste, on avance une autre version : Sylviane Bulteau, élue de Vendée, aurait été désignée par le groupe bien avant l’installation de la commission d’enquête. Celle-ci prévient qu’elle souhaite « que l’on respecte la décision qui a été prise. Tous les députés sont légitimes, et le souhait de Bruno Le Roux, en me désignant, a été que tous s’investissent dans la vie parlementaire », commente l’heureuse élue. Confirmant que la nomination a bien été menée en coulisses par le président du groupe parlementaire.

« J’ai conversé avec Barbara Romagnan, jeune députée socialiste qui n’est pas dans les rouages politiciens et défend ses convictions. Elle était favorable à la mise en place de cette commission d’enquête et souhaitait en être la rapporteure », assure Jacqueline Fraysse. Elle ajoute : « Lors de la création de cette commission, elle était pressentie par le groupe socialiste. Finalement, cela ne sera pas le cas. Or, si on avait procédé à l’élection le 1er juillet, comme cela aurait dû se faire, elle aurait certainement été élue. » Comme en atteste l’élection d’un autre candidat frondeur, Philippe Noguès, à la vice-présidence de la commission. Bruno Le Roux rétorque qu’il n’y a là aucune sanction, mais admet qu’un certain nombre de députés PS « n’ont pas accepté ces dernières semaines que leurs responsables ne fassent pas partie de la majorité du groupe ». Les dirigeants socialistes prouvent ainsi qu’ils mènent une rude bataille contre les frondeurs.

Politique
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