Sarkozy choisit la fuite en avant

L’ex-président de la République projetait de revenir sur le devant de la scène.
Mais sa mise en examen pour corruption active a accéléré son calendrier.

Michel Soudais  • 10 juillet 2014 abonné·es
Sarkozy choisit la fuite en avant
© Photo : AFP PHOTO / FRANCK FIFE

Le doute n’est plus de mise. Nicolas Sarkozy est de retour. Nul ne sait encore précisément à quelle date l’ancien président de la République annoncera qu’il brigue la présidence de l’UMP. Mais il est acquis qu’il la réclamera. Sinon pourquoi avoir convoqué, le 2 juillet, la plus grosse chaîne de télévision et son meilleur passe-plat radiophonique, chez lui, pour contre-attaquer après sa mise en examen ? De cet entretien radio-télévisé – le premier sur ces médias depuis sa défaite de 2012 – annoncé au son de trompe et diffusé à l’heure de la plus grande écoute, il n’y avait pas grand-chose à retenir que la volonté de l’ancien chef de l’État de redescendre dans l’arène : « Je ne suis pas un homme qui se décourage devant les vilénies et les manipulations politiques. […] La question de savoir si on renonce ne se pose pas pour moi. » Car sur sa mise en examen du jour pour « corruption active », « trafic d’influence actif » et « recel de violation du secret professionnel », Nicolas Sarkozy a esquivé toutes les questions, s’efforçant comme on pouvait s’y attendre de tout nier en bloc. Pour mieux se poser en victime d’une « instrumentalisation politique d’une partie de la justice ». Il s’est dit persécuté par « deux dames » – à qui il dénie visiblement la qualité de juges. Il a dénoncé une « volonté de [l’] humilier » et une « obsession politique de [le] détruire », citant tour à tour François Hollande, Manuel Valls, Christiane Taubira et Michel Sapin. À l’en croire, « jamais aucun responsable politique n’a été autant examiné par des magistrats, des policiers » que lui. Un registre exploité avant lui par… Silvio Berlusconi, qui se présentait en octobre 2009 comme « l’homme politique le plus persécuté de toute l’histoire » .

Le 5 juillet, sur Europe 1, le président du Conseil constitutionnel (CC) a répliqué à Nicolas Sarkozy sur trois points.

Le rôle du CC dans l’invalidation des comptes de campagne : « On laisse entendre que nous aurions vérifié l’ensemble des comptes de la campagne de l’ancien président de la République. Non ! […] Nous n’avons pas validé les comptes, nous avons simplement validé la décision de la Commission nationale de contrôle qui avait constaté qu’il avait dépassé les plafonds autorisés. »

La critique de la justice : « Quand des responsables politiques commencent, à droite ou à gauche, à s’en prendre aux juges, c’est un des fondements du vivre ensemble, de la République qui est atteint. »  L’appartenance syndicale de juges : « Le législateur a admis la liberté syndicale dans la magistrature. Attention à tous ces arguments que tout le monde peut s’envoyer dans la figure. […]  Je connais beaucoup de magistrats qui ont des idées politiques, je peux vous garantir qu’ils instruisent en fonction du droit et de la recherche de la vérité. »

Cette grosse ficelle n’a pas emporté l’opinion des Français, si l’on croit plusieurs sondages. Même les lecteurs du Figaro ont du mal à croire que « Nicolas Sarkozy soit victime d’un acharnement judiciaire [^2] ». C’est pourtant sur ce registre que l’ex-président de la République a décidé d’asseoir sa stratégie de reconquête de l’UMP. Il y a encore quinze jours, les rumeurs sur le retour de Nicolas Sarkozy, savamment distillées dans une certaine presse, motivaient ce come-back par la volonté de l’ancien chef de l’État de ne pas « laisser la France dans un tête-à-tête entre le FN et le PS ». Mais l’heure n’est plus aux justifications politiques rationnelles. Avec sa garde à vue et sa mise en examen, Nicolas Sarkozy est convaincu de tenir un ressort plus puissant, propre à susciter un réflexe de solidarité des militants UMP à son égard. Pour être à nouveau le « candidat naturel » de la droite en 2017, Nicolas Sarkozy n’a pas caché son intention de briguer la présidence de l’UMP à l’automne. Pour l’instant, deux anciens ministres, Bruno Le Maire et Hervé Mariton, ont officiellement annoncé qu’ils seront candidats. Du menu fretin pour un Sarkozy qui a jusqu’au 30 septembre pour se déclarer. Soit tout l’été pour entretenir un faux suspense, et savonner la planche de ses véritables rivaux, Alain Juppé et François Fillon.

Le maire de Bordeaux, qui avait osé mettre en doute, quoiqu’en des termes bien plus mesurés que Jean-Louis Débré (voir encadré), la stratégie de défense de l’ancien Président –  « Vilipender une institution de la République, à savoir l’institution judiciaire, comme le font certains responsables politiques, ne me paraît pas de bonne méthode »  –, s’est ainsi rudement fait tancer par Henri Guaino, l’ancien conseiller spécial de Sarkozy lui reprochant ses « leçons de morale » et son « arrogance ». Contre les cadres et dirigeants de l’UMP qui aimeraient bien, sans trop le dire, que Nicolas Sarkozy renonce à son projet et n’entraîne pas le parti dans ses ennuis judiciaires, les sarkozystes jouent la « base » contre ceux que Geoffroy Didier, animateur de la Droite forte, qui a rassemblé 2 500 militants en Sologne le week-end dernier, appelle les « barons autoproclamés ». Un classique. Si la conquête de l’UMP n’a rien d’un obstacle insurmontable pour Nicolas Sarkozy, il risque toutefois de retrouver fin novembre un parti rongé par les dettes et les haines. Mardi, son bureau politique devait prendre connaissance d’un audit qui, selon des fuites, évalue sa dette à près de 80 millions d’euros pour un budget annuel de 35 à 40 millions. À en juger par les révélations sur son compte de campagne, l’ancien chef de l’État n’est pas le mieux placé pour redresser pareil navire.

[^2]: Sollicités par le site Internet du quotidien, 171 000 internautes se sont prononcés, 45 % ont répondu « oui », 55 % « non ».

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