« Terra nullius », de Salomé Lamas : Le goût du sang

Avec Terra nullius , Salomé Lamas filme les confessions d’un mercenaire portugais.

Jean-Claude Renard  • 3 juillet 2014 abonné·es

Dans un lieu désaffecté, peut-être une ancienne usine, la caméra fixe longuement une chaise vide. Des projecteurs s’allument. Plan suivant : un homme fait face à la caméra. Et le « premier chapitre » de commencer sur « Afrique-guerre coloniale ». José Paulo Rodrigues Sobral de Figueiredo décline son identité. Il a 66 ans. Un diplôme d’ingénieur en poche, il entre dans l’armée, y reste de 1966 à 1980, avant d’entamer une carrière de mercenaire. Il est parmi les commandos au Mozambique, puis en Angola , plongé dans les guérillas, jouant de la gâchette, dégoupillant ses grenades, faisant sauter ses victimes comme des « ouistitis ». *Des « travaux manuels », « peut-être un peu sadiques »,* convient l’homme. « J’aimais l’armée, j’aimais tuer, j’aimais voir du sang. » Et d’égrener des souvenirs dans les maisons closes, les bars, des souvenirs sanglants, aussi, à la solde des pouvoirs en place, jusqu’au GAL, pour exécuter des militants de l’ETA, en France comme au Nicaragua. Le mercenaire et la réalisatrice. Tel pourrait être l’autre titre de Terra nullius, de Salomé Lamas, qui s’avance chapitre après chapitre dans le minimalisme. Froidement, au scalpel, le mercenaire se raconte. Impose la pause, sort du champ pour aller fumer une cigarette, additionnant les ellipses (trop, sans doute, le récit se perdant dans le manque de repères historiques). Parfois, Lamas cadre son sujet plus près encore, sa tête surgissant d’un fond noir, jaillissant de l’épouvante. Entre elle et lui, un espace étroit. Dans cet espace constitué de tensions : le spectateur, forcément entraîné, happé par la charge émotionnelle et hypnotique du discours, son poids d’évocation virant presque en fiction. Livrant une épuisante défaite intime.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes