EELV : Le risque de l’autonomie ?

Deux lignes stratégiques s’affrontent au sein du parti écologiste, qui faisait sa rentrée politique la semaine dernière à Bordeaux.

Pauline Graulle  • 28 août 2014 abonné·es
EELV : Le risque de l’autonomie ?
© Photo : AFP PHOTO / JEAN-PIERRE MULLER

Continuer avec – ou sans – le PS ? Avant même le coup de théâtre de lundi, la question était dans toutes les têtes à Bordeaux, où Europe Écologie-Les Verts (EELV) se réunissait pour ses Journées d’été, du 20 au 22 août. Dans toutes les têtes, mais pas au programme. Car il fallait sauvegarder l’unité, fût-elle de façade, pour commémorer dignement les quarante ans de l’écologie politique. Et la question de la stratégie ouvre, chez les écolos, des abysses de désaccords…

« Indigne », « triste »… La semaine dernière, les critiques ont plu sur le livre mémoires de Cécile Duflot [^2]. Les commentateurs avaient-ils seulement lu en entier ce prétendu « brûlot », cette pseudo « charge anti-Hollande » ? De l’intérieur… est d’abord la chronique d’un « pari » perdu. Le récit d’une « désillusion » bien légitime, où Duflot, en habits de Candide, découvre un monde auquel elle n’appartient pas – « Ne croyez pas que vous êtes ministres parce que vous êtes au banc », lui glisse un ancien ministre. Outre l’exposé de sa « déception progressive » à l’encontre de François Hollande, qu’elle impute en grande partie au « système présidentiel », l’ex-ministre du Logement s’explique sur certains malentendus (la polémique autour du 14-Juillet), et prend sa part d’autocritique (ses « erreurs d’analyse », ses regrets de n’avoir pas soutenu Delphine Batho, de n’avoir pas assez réagi sur « l’affaire de la robe »…). Un peu court, diront certains.

Alors que le parti (dont elle reste la vraie patronne) se fissure entre deux lignes stratégiques, l’ouvrage, écrit à la va-vite et attentivement relu par ses plus proches conseillers, se garde bien de choisir entre les partisans d’une recomposition à gauche et les « réformistes » d’EELV. Ainsi, en page 221, Duflot appelle les parlementaires de gauche à « réorienter le quinquennat »… Curieuse conclusion, après 220 pages de constat d’impuissance.

[^2]: De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion , Fayard, 235 p., 17 euros.

Pendant trois jours, la secrétaire nationale du parti, Emmanuelle Cosse, s’est donc employée à multiplier les discours consensuels, sinon creux, pour ne froisser personne. Las, la guerre n’en a pas moins fait rage, en sourdine, entre les « pro-gouvernement » et les « autonomistes ». Le coup de semonce est venu de Cécile Duflot elle-même. En publiant, dès le premier jour des rencontres, son ouvrage – pris d’assaut au stand librairie – sur sa « désillusion » hollandaise, l’ex-ministre a d’emblée donné le ton. S’est ensuivie une série d’échanges à fleurets plus ou moins mouchetés, sur les réseaux sociaux ou dans la presse, entre les différents clans. Seuls les supporters de la petite motion LOVE au dernier congrès ont osé briser le tabou, et organisé une confrontation sur le sujet, en présence notamment du sénateur Jean-Vincent Placé. Devant une salle archicomble, le principal représentant de la ligne pro-gouvernementale a assuré, mais un peu tard, regretter que le débat n’ait pas eu lieu « à l’échelle du parti ».

Près de cinq mois après la sortie précipitée de Cécile Duflot et de Pascal Canfin du gouvernement, qui pense quoi, chez EELV, de la nouvelle stratégie à adopter ? Grosso modo, deux tendances se dessinent : l’aile « réformiste », qui préférerait rester dans la main du PS, et l’aile « contestataire », qui préconise la sortie des alliances traditionnelles et la constitution d’un nouveau pôle à la gauche du PS. Une stratégie qui, à défaut de réussir, aurait au moins pour avantage de faire pression sur le gouvernement, font valoir ses deux principaux défenseurs, Eva Joly et Julien Bayou (voir ci-contre). L’eurodéputée et le conseiller régional d’Île-de-France publiaient une tribune, au deuxième jour des rencontres, pour réclamer une « primaire de l’espoir », sans le PS mais avec les frondeurs, pour désigner un candidat crédible en 2017. Un « très bon texte », a jugé le socialiste Pouria Amirshahi, invité des Journées d’été, qui a lancé à son tour un appel à entreprendre « un regroupement nouveau »  : « On est sur du temps très long, mais il faut commencer maintenant. C’est ça ou le désastre. » Quant à son collègue du PS landais, l’emmanuelliste Stéphane Delpeyrat, il s’est pris à imaginer une candidature Duflot en 2017 : « Cécile a la force de caractère et elle est rassembleuse. Certains frondeurs du PS la voient déjà prendre les rênes du rassemblement, et les militants EELV sont quasiment tous sur sa ligne. » Reste à savoir s’il existe une « ligne Duflot ». Elle est en tout cas loin d’être claire, à en juger par son ouvrage qui n’est pas le brûlot tant décrié (voir encadré). « En réalité, la position de Cécile est compatible avec les deux options, analyse Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique. Quand elle dit que Hollande n’est “le Président de personne”, c’est une manière de mettre la pression sur l’Élysée pour améliorer la loi sur la transition énergétique. » Et le Nantais de prophétiser que la dame ne dévoilera pas ses ambitions avant la fin 2015.

Celles de Jean-Vincent Placé étant en revanche on ne peut plus limpides, le sénateur a justifié sa position franchement pro-gouvernementale par les sondages sur ces « sympathisants »  écolos qui seraient « 85 à 90 % à souhaiter qu’on participe au gouvernement ». « On aurait dû y rester. C’est maintenant que François Hollande est affaibli, qu’on aurait pu peser », a martelé l’ancien proche de Duflot, lequel a pris soin de ne jamais s’afficher avec elle pendant les trois jours. « Les frondeurs ne sortiront jamais du PS, a renchéri François de Rugy, le troisième larron de la ligne Placé-Baupin-Rugy. Mieux vaut faire en sorte que la majorité soit la plus écologiste possible dans les deux ans qu’il nous reste. On est un parti de gouvernement. Pas un parti protestataire. » Et le député de Loire-Atlantique de prôner une primaire… ouverte au PS. Même proposition de l’eurodéputé Yannick Jadot, qui veut « une primaire très large, y compris avec les socialistes », mais en ayant au préalable trouvé le moyen de « faire comprendre à Hollande qu’il doit se sacrifier en 2017 ». Une formalité !

Reste les indécis. « Un bon tiers » des troupes, estime François de Rugy. Il y a le conseiller régional d’Île-de-France Jacques Picard, qui n’a plus de doutes sur la nécessité de la sortie du gouvernement, mais qui en a « sur cette partie de gauche qui ne veut pas assumer les contradictions du pouvoir ». Ou l’eurodéputée Karima Delli, qui ne veut pas entendre parler de primaire avant d’avoir « renforcé le parti, en allant sur le terrain, en montrant que l’écologie peut être populaire ». Quant à Éric Piolle, le maire de Grenoble, accueilli en star sur le campus bordelais des Journées d’été, il a refusé de prendre officiellement position sur le sujet. Mais a jugé en aparté l’expérience rouge-vert grenobloise « reproductible, à la condition de prendre de vitesse les ego et les étiquettes pour se concentrer sur le projet ». À bon entendeur… Il y a aussi Ronan Dantec, qui affirmait samedi dernier qu’ « il est trop tôt pour parler de recomposition », parce que, « vu la situation actuelle, tout peut arriver d’ici à 2017 ». Quarante-huit heures plus tard, l’avenir lui donnait déjà raison.

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