Le combat exigeant d’Ivan Segré

Le philosophe nous livre une forte réflexion sur la relation entre judaïsme et révolution.

Denis Sieffert  • 6 novembre 2014 abonné·es

Depuis plusieurs années, nous essayons de suivre l’itinéraire intellectuel d’Ivan Segré. La chose n’est pas facile. Non pas que le chemin soit tortueux, il est au contraire droit, et la destination évidente, mais la pensée est exigeante et la méthode « talmudique ». Segré est un érudit, empli d’une tradition religieuse dont il s’est émancipé mais qui est bien présente sous sa plume. Son œuvre est aussi très politique, même quand ce n’est pas affiché. À la différence de son premier ouvrage, la Réaction philosémite (éditions Lignes, 2009), dans lequel il démontait le discours faussement philosémite et réellement réactionnaire de quelques intellectuels en vogue dans nos médias, le livre qu’il nous propose cette fois est moins polémique, donc plus ardu. Il est tout entier consacré à cette question : « Le judaïsme est-il révolutionnaire ou contre-révolutionnaire ? »

Pour y répondre, Segré s’efforce d’abord de définir les deux mots-clés de son ouvrage : « judaïsme » et « révolution ». On croise dans ses pages le Marx de la Question juive, mais aussi Levinas, et même Badiou et Agamben, pour ne citer que les plus proches fréquentations intellectuelles de l’auteur. La définition du judaïsme, on l’imagine, est complexe, voire double et contradictoire. Au-delà de la réflexion qui est proposée – les pages sur Paul, le pharisien, sont passionnantes –, on devine l’enjeu. Et c’est cela aussi qui nous intéresse : répliquer à ceux qui s’approprient le judaïsme pour tenter de légitimer, par exemple – et au hasard –, la politique israélienne, et qui manipulent le concept d’élection (de « peuple élu ») pour alléguer un droit.

Mais cette conclusion est ici à peine esquissée. Et Segré ne cède à aucun raccourci. Il puise dans la Torah, dans Maïmonide et bien sûr dans Spinoza, sujet de son précédent livre. C’est de l’intérieur du judaïsme qu’il prend à revers les usurpateurs. Et c’est de l’intérieur qu’il revendique un universalisme aux antipodes des pensées tribales qui ont trop souvent cours. Il veut, avec Badiou, « sauver le nom des juifs » de deux périls : une signification strictement religieuse et la signification nationale. Il le veut contre ceux que le philosophe René Lévy, fils rebelle de Benny, appelle « les vigilants ». Pour cela, il faut libérer le juif de l’asservissement à un « État juif », pour en faire un sage, c’est-à-dire un universaliste. On aurait évidemment tort de penser que ces questions s’arrêtent aux limites du judaïsme, car il s’agit du combat de tout un chacun pour échapper aux « obédiences » auxquelles on veut le réduire.

Idées
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