Une communion laïque

Les manifestations de dimanche ont rassemblé près de quatre millions de personnes. Une affluence qui marque une volonté de communion populaire face à la sauvagerie des attentats de la semaine passée.

Olivier Doubre  • 15 janvier 2015 abonné·es
Une communion laïque
© Photo : AFP PHOTO / KENZO TRIBOUILLARD

De mémoire d’habitué du pavé parisien, on n’avait jamais vu une telle mobilisation. Tout comme dans la plupart des communes de France. En ce dimanche 11 janvier, l’heure est à l’émotion, à la vigilance, au refus de la haine et de la barbarie, de l’obscurantisme et des fanatismes, mais surtout à la communion populaire. Jeunes, âgés, de toutes confessions, de toutes sensibilités politiques ou presque et de toutes classes sociales, ils marchent derrière le slogan devenu symbole « Je suis Charlie », décliné en de nombreuses langues et variantes, (comme le fréquent « Charlie… berté, égalité, fraternité » ), parfois suivi d’un crâne « Même pas peur ! ». Même si d’aucuns chuchotent que le cortège serait « trop blanc », traduisant leur sentiment d’une participation relativement faible des minorités dites « visibles »…

Néanmoins, tous, dimanche, « sont » Charlie, se veulent Charlie. Quand bien même certains avouent manifester pour la première fois de leur vie. Nombre de Parisiens n’ont jamais pu rejoindre la place de la République, qui, dès midi, soit trois heures avant le départ, est noire de monde, comme l’ensemble des rues adjacentes. Un très large périmètre se trouve envahi par les manifestants, et l’on peine à se frayer un chemin dans des rues même éloignées du point prévu de rassemblement. Tout se déroule pourtant dans une ambiance bon enfant, sans incident ni tensions particulières. Dans de nombreuses villes de province, l’affluence est tout aussi impressionnante. Paris a rassemblé entre 1,5 et 2 millions de personnes, tandis que chaque chef-lieu de département ou capitale régionale peut s’enorgueillir d’une foule atteignant parfois le quart de la population de son agglomération, le tiers ou plus. Plus de 300 000 personnes défilent à Lyon, 20 000 à Carcassonne (pour 45 000 habitants), 25 000 à La-Roche-sur-Yon (pour 53 000 habitants), 30 000 à Lorient (pour 60 000 habitants), et même 30 000 à Saint-Etienne pour… 45 000 habitants ! L’émotion étreint, au cœur de ces foules compactes, durant les longs moments de silence, interrompus bientôt par des « Charlie, Charlie… » et suivis de trois applaudissements rythmés. Très nombreux, les crayons accrochés au revers des vestes, plantés dans les bonnets, ou au format géant, pointent vers le ciel. La plupart des pancartes mettent en avant la solidarité avec les victimes : « Je suis Charlie, je suis juif, je suis chrétien, je suis musulman, je suis policier, je suis français. » Et les « Marseillaise », dans toutes les villes de France, se lèvent, entonnées sous les drapeaux tricolores et les pancartes « Je suis Charlie, je suis Hyper Cacher, je suis flic, je suis, nous sommes, la République » … Des slogans, lancés en direction de policiers très applaudis, peuvent étonner au pays du célèbre « CRS, SS ! » : « Nous sommes tous des policiers ! » Quant à l’absence de réactions de la foule parisienne vis-à-vis du cortège de la cinquantaine de chefs d’État venus défiler dans la capitale, elle s’explique tout simplement parce que celle-ci en était tenue très loin.

Une différence de taille avec le seul précédent d’un président de la République vu dans une manifestation populaire : François Mitterrand, qui avait tenu à être au milieu des Français après la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1991. Mais les citoyens marcheurs auraient peut-être eu beaucoup à redire sur la présence plus qu’embarrassante – dans un défilé censé défendre la liberté d’expression et celle de la presse – d’un dictateur tel qu’Ali Bongo, du chef de la diplomatie de Vladimir Poutine, de Benyamin Netanyahou et de son ministre d’ultra-droite Avigdor Lieberman ou du très liberticide Premier ministre hongrois Viktor Orban.

Société
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