Faux tract : Marine Le Pen avait assumé, la justice la blanchit

Le jugement de la cour d’appel de Douai (Nord), qui a relaxé cet après-midi la présidente du Front national, n’est pas seulement surprenant. Il est grave de conséquences pour la régularité future de toute élection et donc pour notre démocratie.
Rappel des faits : Marine Le Pen avait été citée à comparaître par Jean-Luc Mélenchon pour « manoeuvre frauduleuse » et publication d’un montage sans le consentement de l’intéressé, réalisé dans le cadre de la campagne des élections législatives de 2012 opposant les deux candidats dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Fin mai 2012, les équipes de Mme Le Pen avaient distribué un tract comportant une photo de Jean-Luc Mélenchon et reproduisant l’une de ses phrases prononcées lors d’un discours à Marseille le 14 avril précédent: « Il n’y a pas d’avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb. » Ce tract sur fond vert comportait également la mention « Votons Mélenchon » et sa traduction dans un arabe approximatif.
Le 4 avril 2014 , après quatre renvois, dont une procédure dilatoire introduite par l’avocat de la présidente du Front national, le tribunal correctionnel de Béthune (Pas-de-Calais) avait admis la culpabilité de Marine Le Pen et l’avait condamnée à 10.000 euros d’amende.
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Un jugement infirmé ce 19 mai, la cour d’appel de Douai estimant qu’au vu des éléments transmis par la partie civile, il n’était pas démontré que Marine Le Pen ait été à l’origine de la contrefaçon et de sa distribution, ni qu’elle ait engagé sa responsabilité pénale en qualité d’auteur ou de complice. La cour s’est ainsi rangé aux arguments de sa défense, exposés dans Paris-Match dès septembre 2013[^2], sans tenir aucun compte du fait que Mme Le Pen avait assumé son faux-tract sur deux chaînes de télévision au moins .
Le 30 mai 2012 , interrogée sur la régularité du procédé lors de son passage au Grand journal de Canal +, elle avait déclaré : «Je l’assume totalement ça.
C’est une forme médiatique. La preuve, vous en parlez ce soir.
[…] Je suis heureuse de voir que ce coup a marché.»
Le 2 juin 2012 , lors d’un débat électoral sur France 3, face à Jean-Luc Mélenchon, elle avait à nouveau crânement revendiqué son faux tract, déclarant notamment : « Si j’avais voulu faire ça en secret, je n’aurais pas envoyé mes cent militants en plein jour. Je l’assume totalement. »
Faux-tracts à Hénin-Beaumont – Les aveux de… par lepartidegauche
La principale jurisprudence instituée par le jugement de la cour d’appel de Douai consiste à ne pas reconnaître pour preuve des aveux télévisés. Dès lors, quel crédit accorder aux propos que pourraient y tenir la présidente du Front national ? Il faudrait suggérer d’urgence aux chaînes de télé d’avertir les téléspectateurs, au moyen d’un bandeau défilant à chacun des passages de Marine Le Pen, que ses propos ne l’engagent pas et ne prouvent rien, bref qu’elle est au sens propre irresponsable.
Lire > Marine Le Pen, inconséquente et irresponsable
Par extension (les jurisprudences ayant vocation à bénéficier à tous), peut-être faudra-t-il faire précéder du même avertissement toute parole politique. Et ne plus tenir pour preuve toute revendication filmée d’un délit ou d’un crime…
Une autre conséquence du jugement de ce 19 mai risque d’affecter la loyauté des prochaines campagnes électorales. Alors que la législation tient pour responsable le candidat (ou la tête de liste) de tout manquement aux règles de financement des campagnes électorales, ce dont il y a lieu de se féliciter, « dorénavant , comme le note Jean-Luc Mélenchon, chacun peut éditer de faux tracts sous le sigle de l’UMP du PS et du FN sans craindre d’ennui en utilisant le cas échéant pour se défense la jurisprudence Le Pen Hénin-Beaumont » . Voilà qui promet.
Le fondateur du Parti de gauche n’a pas tort de pointer dans son communiqué les « dysfonctionnements de la police et de la justice qui laissent impunies des violations de règles fondamentales de la démocratie » sans lesquelles cette dernière ne peut valablement s’exercer.
[^2]: « Marine Le Pen n’a rien fait, elle : elle ne l’a pas rédigé, elle ne l’a pas suscité, elle ne l’a pas distribué, rien. »
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