L’économie guerrière

Appuyée sur l’armement, la croissance à venir a la couleur du sang.

Jérôme Gleizes  • 27 mai 2015 abonné·es

Après l’échec de la « croissance performative » de François Hollande, c’est-à-dire la croyance que la seule énonciation de celle-ci permettrait sa concrétisation, il a fallu que le Président change de politique. Loin de réorienter le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), de soutenir la Grèce pour un changement de la politique européenne, de s’attaquer à la finance prédatrice, le gouvernement s’appuie sur son industrie de l’armement pour relancer la croissance. Il faut reconnaître que cette politique porte ses fruits, mais à quel prix ?

En quelques mois, trois contrats majeurs ont été signés avec l’Égypte, l’Inde et le Qatar pour des Rafale que la France n’avait pas réussi à vendre depuis la mise en service de cet avion en 2001. À cela, il faut ajouter les deux frégates dont la vente à la Russie est pour l’instant suspendue, et surtout le contrat de 3 milliards de dollars d’armes achetées par le Liban mais payées par l’Arabie saoudite, sans compter tous les autres contrats moins médiatiques qui font de la France la troisième puissance mondiale exportatrice d’armes.

Cette politique est à relier à la diplomatie très militaire de la France. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, les crédits de la Défense vont augmenter. L’austérité ne concerne pas tous les budgets ! Là aussi, c’est un revirement de la politique de François Hollande, car, jusqu’à présent, l’armée devait participer au programme d’économie budgétaire. Aujourd’hui, l’engagement des forces armées françaises à l’étranger dans de nombreux conflits (Mali, Centrafrique, Irak, etc.) est aussi la démonstration grandeur nature de la qualité de ses armes ! Cette politique améliore notre balance commerciale au détriment de la paix. L’Inde, puissance nucléaire, va disposer d’un nouveau vecteur face à son voisin et ennemi nucléaire, le Pakistan. L’Égypte et l’Arabie saoudite, loin d’être des démocraties, multiplient les condamnations à mort, dont celle du président égyptien démocratiquement élu Mohamed Morsi, et bafouent sous les armes les libertés fondamentales de leur population. Si l’intervention au Mali peut se comprendre, le soutien à l’intervention des pays arabes du golfe persique au Yémen ne fait qu’amplifier les conflits régionaux et enrichir les nombreux marchands d’armes mondiaux, dont la France.

La croissance à venir a la couleur du sang. Hollande devrait relire le socialiste Jaurès [^2]. « Ceux qui de bonne foi s’imaginent vouloir la paix, lorsqu’ils défendent contre nous la société présente, lorsqu’ils la glorifient contre nous, ce qu’ils défendent en réalité  […] c’est la possibilité permanente de la guerre. C’est en même temps le militarisme lui-même qu’ils veulent prolonger. Car cette société tourmentée, pour se défendre contre les inquiétudes qui lui viennent sans cesse de son propre fond, est obligée perpétuellement d’épaissir la cuirasse contre la cuirasse ; dans ce siècle de concurrence sans limite et de surproduction, il y a aussi concurrence entre les armées et surproduction militaire : l’industrie elle-même étant un combat, la guerre devient la première, la plus excitée, la plus fiévreuse des industries. » 

[^2]: Discours de Jean Jaurès sur « l’armée démocratique » : « Le capitalisme porte en lui la guerre » (1895).

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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