Bruxelles ou l’Europe

Au-delà de l’économie grecque, c’est l’avenir de l’UE qui se joue dans le référendum du 5 juillet.

Michel Soudais  • 30 juin 2015 abonné·es
Bruxelles ou l’Europe
© Photo : THYS / AFP

Les Grecs ne sont pas seuls. À Paris, mais aussi à Londres et dans plusieurs villes d’Europe, des rassemblements de soutien au gouvernement d’Athènes se sont tenus ou sont prévus d’ici au dimanche 5 juillet. Des appels et des pétitions circulent sur Internet, où des visuels montrant les principales figures des créanciers de la Grèce (Juncker, Lagarde, Draghi, Merkel…) barrées d’un grand «  oxi  » (« non » en grec) se partagent. « Manifester notre soutien au peuple grec, qui s’est clairement prononcé le 25 janvier pour refuser l’étranglement des politiques d’austérité, c’est refuser un nouveau déni de démocratie en Europe après ceux rejetant le vote contre le traité constitutionnel européen en France, en Irlande et aux Pays-Bas », écrivent les syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires d’Île-de-France, dans un tract appelant à manifester le 2 juillet, à 18 h 30, à la Bastille. On ne peut plus simplement situer l’enjeu de l’affrontement politique entre Athènes et Bruxelles : la démocratie contre l’autoritarisme et l’austérité…

Les eurocrates et leurs choristes ne craignent qu’une chose : la démocratie. Raison pour laquelle les institutions européennes ont été conçues pour s’affranchir de la volonté populaire. « L’action menée au niveau européen permet d’éviter les pressions directes des cycles électoraux nationaux », déclarait en 1999, devant le Parlement européen, Romano Prodi, fraîchement nommé à la tête de la Commission européenne. Plusieurs traités ont depuis considérablement renforcé l’autonomie de la superstructure européenne vis-à-vis des peuples pour le bien desquels elle prétend agir. Oublier cette constante de l’Union européenne ne permet pas de comprendre la violence des réactions suscitées par le choix d’Alexis Tsipras de consulter les Grecs sur les propositions de la troïka (UE, BCE, FMI).

À entendre les dirigeants européens ** et l’immense majorité des médias qui n’ont pas de mots assez durs pour les qualifier, les Grecs seraient responsables de la rupture des négociations. Le Premier ministre grec, dont le parti avait gagné les élections sur un programme anti-austérité et le maintien du pays dans la zone euro, n’avait toutefois pas d’autre choix que de retourner devant les électeurs, après cinq mois de négociations au cours desquelles les créanciers ont durci leurs conditions à chaque concession de son gouvernement.

Car l’offre présentée comme « exceptionnellement généreuse » par Angela Merkel, le 26 juin, avait tout d’un marché de dupes. Contre une prolongation jusqu’en novembre du plan d’aide actuel et du versement de 15 milliards, Athènes devait accepter un programme de réformes corrigé en rouge par le FMI. Le gouvernement grec avait interdiction de taxer les hauts revenus et de mettre à contribution les bénéfices des sociétés, mais devait porter la TVA à 23 %, augmenter les cotisations de protection sociale et mettre en œuvre une réforme drastique des retraites. En échange de ce renoncement à ce que Syriza avait constamment défini comme ses lignes rouges, les quatre tranches de versement prévues n’auraient servi qu’à rembourser les prochaines échéances dues aux créanciers. Sans apporter à l’État grec la moindre liquidité. Avec pour toute perspective « une dépression sans fin », selon le mot du prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz.

La question posée dimanche aux Grecs par Alexis Tsipras – soutenu en cela au Parlement par Syriza, l’AN.EL (son allié souverainiste) et les néo-nazis d’Aube dorée, contre le Pasok, les conservateurs de la Nouvelle Démocratie, les libéraux de La Rivière et les communistes du KKE – portait d’abord sur le plan de renflouement des créanciers. Ces derniers, non satisfaits d’exiger une trajectoire budgétaire, veulent dicter les mesures politiques censées y parvenir. Mais en affirmant qu’un « non » au référendum serait un « non à l’Europe », Jean-Claude Juncker, suivi par les dirigeants européens, a implicitement pris le risque d’assimiler l’Europe aux politiques austéritaires, alors que c’est Bruxelles qui est en cause.

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