Portrait du sociologue en lecteur

Le sociologue Jean-Louis Fabiani réunit certains de ses articles sur les grands noms de sa discipline.

Olivier Doubre  • 3 juin 2015 abonné·es

À l’heure où certains, comme Philippe Val, flétrissent un prétendu « sociologisme », méconnaissant les acquis des sciences sociales, cette Sociologie comme elle s’écrit représente une réponse cinglante à ces attaques indigentes. Une réponse, mais d’abord un appel à la lecture et une ode à la sociologie. Philosophe ayant suivi la « voie royale » (normalienne) du système scolaire français, Jean-Louis Fabiani a délaissé « la reine des disciplines » au début des années 1970. Une « conversion » aux sciences sociales qui, selon lui, constitue « un vrai trait culturel dans l’histoire intellectuelle française », depuis Émile Durkheim, Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss ou Raymond Aron jusqu’à Pierre Bourdieu ou Philippe Descola. Proche, à son entrée en sociologie, de Jean-Claude Chamboredon, qui travailla longtemps avec Bourdieu et Jean-Claude Passeron, il explique que ce « passage » d’une discipline à l’autre est « largement marqué par l’autodidaxie » et dû à sa « curiosité de lecteur » .

L’auteur rassemble ici une douzaine d’articles écrits sur plus de vingt ans, tous des « comptes rendus » incisifs et des critiques d’ouvrages ayant marqué l’évolution de la discipline sociologique. Évoquant l’Ontologie politique de Martin Heidegger (Pierre Bourdieu, 1988), le Raisonnement sociologique (Jean-Claude Passeron, 1992), l’Enquête de terrain (Daniel Céfaï, 2003) ou les ouvrages de Bruno Latour, d’Andrew Abbott et de Luc Boltanski, l’auteur souligne l’importance de « ce genre mineur » (ou habituellement dénigré de la sorte) qu’est la note de lecture.

Ouvrant ce volume par un « portrait du sociologue en lector  » qui retrace sa trajectoire et ses influences intellectuelles, Fabiani considère avec conviction cet « aspect  [de son] métier trop rarement mis en valeur », susceptible de « produire des effets de connaissance et d’intelligibilité ». Certes, « pas au même titre que l’enquête ». Mais la « notule » (que Jean-Claude Chamboredon, en maître de l’exercice, appelait en riant « texticule » ) ou le review essay de 80 pages n’en constituent pas moins une « pratique à part entière ». Le fondateur de la discipline lui-même, Émile Durkheim, louait d’ailleurs son rôle majeur de formation et de socialisation, afin de « s’installer d’emblée au cœur du savoir des sciences sociales ». En invitant le sociologue à ne « jamais cesser d’affûter ses compétences de lecteur », Jean-Louis Fabiani, prenant à son tour son lecteur à témoin, trouve là une « des meilleures occasions de réalisation » de la fameuse « réflexivité des sciences sociales, si souvent brandie comme un emblème professionnel ». À l’instar du grand Julien Gracq, « en lisant, en écrivant »

Idées
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