Maître Eolas, le droit en action

Condamné pour injure et diffamation contre l’Institut pour la justice, le plus célèbre avocat du réseau a fermé son compte Twitter.

Ingrid Merckx  • 14 octobre 2015 abonné·es
Maître Eolas, le droit en action
© Photo : SAGET/AFP

Il faut entendre « Maître » dans tous les sens. Me Eolas est avocat, défenseur des sans-papiers dans la vraie vie. Eolas est un pseudonyme qui signifie « connaissance » en gaélique, et dont il s’est affublé quand il a ouvert son blog ^2 en 2004. Mais « Maître », c’est aussi le pédagogue dont la réputation a explosé via Twitter, dont il était, jusqu’à la semaine dernière, l’une des stars avec ses 186 000 followers.

Au départ, il n’était pas évident que des explications sur le fonctionnement du système judiciaire en 140 caractères maximum puissent remporter un tel succès. Pourtant, sa notoriété dépassait de loin les cercles de juristes. « Me Eolas réussit à imbriquer le réel, la politique et le droit. C’est le droit en action », résume Nicolas Gardères, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la liberté d’expression. « Excellent juriste sur son blog. En qualité de twittos, il a beaucoup d’humour et de repartie », ajoute Caroline Mécary, elle aussi au barreau de Paris, spécialiste en droit de la famille. « Un peu trop attiré par la lumière », ironisent d’autres. Emporté par sa mission ? Me Eolas a pris un coup dans l’aile qui l’a conduit à fermer son compte Twitter le 6 octobre. Peu après, le mot-clé #MaîtreEolas est devenu une des plus fortes tendances du réseau social. La plupart l’exhortant à revenir sur sa décision. Pourquoi cette fermeture ? Me Eolas a été condamné par le tribunal de Nanterre pour injure et diffamation envers l’Institut pour la justice (IPJ). Il écope de 2 000 euros d’amende et de 5 000 euros de dommages et intérêts pour avoir, en novembre 2011, répondu à un internaute qui lui demandait ce qu’il pensait du manifeste ultra-sécuritaire que constitue le « Pacte 2012 » de l’IPJ : « Je me torcherais bien avec l’Institut pour la justice si je n’avais pas peur de salir mon caca. » En outre, Me Eolas a accusé l’IPJ d’avoir utilisé un « compteur bidon » pour engranger 1,7 million de signatures en faveur de son manifeste. L’avocat a bien tenté de faire valoir que « bidon » ne signifiait pas forcément « bidonné », en vain.

Six mois avant l’élection présidentielle, l’IPJ avait mis en ligne un « pacte » pour « promouvoir une justice plus protectrice des citoyens et plus équitable vis-à-vis des victimes » – par conséquent contre une justice prétendument favorable aux criminels. Le texte réclamait « l’impunité zéro pour les atteintes aux personnes et aux biens » et une « fermeté de précaution vis-à-vis des criminels dangereux ». Toute ressemblance avec la rétention de sûreté serait, bien entendu, fortuite. « C’est la justice de l’émotion, du fait divers, commente Me Gardères. L’IPJ est un lobby populiste qui instrumentalise la justice pénale. C’est le programme du FN en matière de justice. » Le jugement du tribunal de Nanterre avait-il pour objet de museler un avocat manifestement de gauche qui donnait à voir « l’envers du décor du palais »  ? « Victime d’une embuscade judiciaire », a tweeté un fan. « Les trolls qu’il défendait bénévolement sont livrés à eux-mêmes », a déploré un autre. « Le jugement est sévère, tranche Me Gardères, mais cette condamnation ne sort pas de nulle part. » Me Eolas avait déjà publié plusieurs textes critiques à l’encontre de l’IPJ. « Ce tweet s’inscrit dans un débat politique. Et, dans un tel débat, on a le droit d’être outrancier », ajoute Nicolas Gardères. Pour Caroline Mécary, l’affaire s’inscrit dans une série d’attaques en justice menées par des réactionnaires contre, entre autres, des avocats qui s’expriment sur les réseaux sociaux.

Me Eolas n’était pas seul sur Twitter. « Mais une telle popularité est difficile à reconstruire, s’attriste Me Gardères. Il jouait un rôle d’éducation et de formation auprès d’étudiants en droit, et un rôle civique dans un contexte populiste où des personnalités comme Christiane Taubira sont taxées d’angélisme. À l’inverse, l’IPJ a peu d’impact sur les juristes, y compris les avocats d’extrême droite, qui trouvent que l’institut agite de trop grosses ficelles. Mais il pèse sur l’opinion.  » « Plusieurs centaines de milliers de sympathisants et 50 000 membres », assure l’institut sur son site. Sur son compte Twitter, qui affiche 3 185 followers, ses derniers messages voudraient voir durcir les permissions de sortie des détenus. Qu’en dit Me Eolas ? Son blog reste ouvert. Mais son dernier billet date du 27 août.

[^2]: www.maitre-eolas.fr 

Société Police / Justice
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