À voir à la télé hier soir

Ironique, décapant, instructif. Journaliste à Télérama, Samuel Gontier anime un blog qui ne manque rien des travers du petit écran.

Jean-Claude Renard  • 11 novembre 2015 abonné·es
À voir à la télé hier soir
© **« Ma vie au poste »**  : www.telerama.fr/blogs/ma-vie-au-poste Photo : DE SAKUTIN/AFP

Ce jour-là, le chroniqueur a allumé son poste beaucoup plus tôt que d’habitude. France Télé affiche pour quelques heures sa chaîne d’info continue sur le service public. En effet, France 2 a cassé sa grille habituelle pour retransmettre en direct, dès 9 h 30, « l’hommage républicain » aux victimes de l’accident de la route à Puisseguin. Pour BFMTV, c’est la routine. Son envoyée spéciale précise que « François Hollande est enfermé avec les familles. Il y aurait au moins un survivant à l’intérieur de la chapelle ardente ». Samuel Gontier sursaute, ou frémit (l’un n’empêchant pas l’autre) : « Quoi ? François Hollande et toutes les familles sont décédés ? » L’envoyée (très) spéciale poursuit : « Le Président se rendra ensuite à Petit-Palais pour la cérémonie. Les familles de victimes le suivront en car. » Samuel Gontier de sursauter à nouveau : « Hein ? En car ! Et pourquoi pas dans un Airbus de la Germanwings ? »

Sur les plateaux des chaînes, relève le chroniqueur, on a invité des psys, convenant que « la survictimisation des personnes impliquées nécessite un suivi dans la longue durée ». En somme, commente Gontier, « la surmédiatisation à laquelle participent les psys nécessite l’emploi indéfini de psys. On n’est jamais si bien servi que par son moi ». Décidément, on tourne en rond. Ce jour-là, donc, Samuel Gontier avait de quoi pouffer et déplorer l’indécence de ce type de retransmission, calé dans le pathos et la démagogie. Pour sûr, l’info en continu ne perd jamais l’occasion de céder à la spectacularisation, voire à une information orientée. Tel a été le cas pour les trois jeunes victimes dans une fusillade à Marseille, d’emblée jugées par les chaînes comme des « trafiquants de drogue », alors que ni l’enquête, rappelle le chroniqueur, ni le casier judiciaire des victimes ne permettaient de l’affirmer. L’information orientée, c’est aussi le cas des JT de France 2 et de David Pujadas, épinglés par Samuel Gontier. Surtout quand on se fait « sous-traitant scrupuleux de la police » pour identifier les syndicalistes d’Air France, avec une malhonnêteté sidérante. Surtout (encore) quand « le commissaire Pujadas » s’interroge sur « la clémence de la justice dans ce genre de situation », ou lorsqu’il se montre ouvertement pour une réforme du code du travail. À côté d’un billet hebdomadaire plutôt tourné vers les jeux, le divertissement, ou la télé-réalité, l’info et son traitement sont l’une des cibles privilégiées du chroniqueur, alimentant plusieurs fois par semaine, sur le site de Télérama, son blog « Ma vie au poste ». Sur les chaînes d’info en continu, « il faut reconnaître qu’elles ont une capacité énergique à renouveler le degré zéro de l’intelligence », s’amuse en grinçant le journaliste, au phrasé doux, contrastant avec ses chroniques vitriolées. Quant aux JT de France 2, ce n’est ni l’offre ni le regard «   qu’on attend du service public » .

De quoi cent fois revenir sur la besogne, s’agacer devant le poste, en rire, se désoler (devant « l’esprit néolibéral gagnant tous les programmes » ), colériser. Rarement dupe de ce qu’il voit, Gontier. L’œil aux aguets, héritage peut-être d’un autre exercice dans le métier, pratiqué au sortir de Sciences Po et du CFJ, celui de secrétaire de rédaction. Puis, l’idée est venue « de faire de l’après-coup  », explique-t-il, au sein d’un journal versé d’abord dans la prescription, « de raconter sa soirée devant le tout-venant de la télé, de regarder, avec une certaine distance, des émissions vers lesquelles on ne va pas forcément, mais qui font partie de la télé et rassemblent des millions de gens ». Un après-coup « en toute liberté », pour le coup, joliment troussé, trempé d’ironie, « sans quoi ce serait triste à mourir ! », pas fichu de supporter « les complaisances, les connivences devenues compétences, le ballet des sempiternels experts, le mélange des genres, les affligeances et les clichés », commentaires sportifs compris, chassant les éléments de langage, le martèlement des mots, croisant les infos. Le toutim déployé dans une écriture personnelle, un style coloré, adjectivé, un verbe ciselé. Autant dire un décryptage remarquable, et un espace unique dans l’univers des médias furieusement poli et consensuel.

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