Comment protéger les lanceurs d’alerte ?

Alors qu’un collectif d’associations interpelle François Hollande sur les dangers de la directive sur le secret des affaires, les lanceurs d’alerte posent la question de l’émergence d’un pouvoir citoyen.

Ingrid Merckx  • 11 novembre 2015 abonné·es
Comment protéger les lanceurs d’alerte ?
© Photo : Hervé Flaciani, KSIAZEK/AFP

Paradoxe, c’est l’exposition médiatique qui protège ceux qui mettent au jour des scandales en France. Stéphanie Gibaud (UBS), Antoine Deltour (LuxLeaks), Irène Frachon (Mediator), Nicole Marie Meyer (Quai d’Orsay), Marion Larat (pilule 3e génération), Daniel Ibanez (Lyon-Turin)… Ils ont en commun d’avoir fait connaître des infractions graves, mais leur rôle n’a pas été reconnu. Ils ont été licenciés, comme la diplomate Nicole Marie Meyer, ostracisés, comme la pneumologue Irène Frachon, ils ont changé de secteur, comme l’ex-auditeur Antoine Deltour… Des combats qu’ils racontent dans des livres, prolongement des articles qui ont, dans un premier temps, porté leurs révélations. Ils seront invités à débattre avec des journalistes, des avocats, des magistrats et des citoyens lors du premier Salon du livre des lanceuses et lanceurs d’alerte qui se tient les 14 et 15 novembre à Montreuil (93).

« Il s’agit d’une rencontre autour “Des livres et l’alerte” pour encourager à l’écriture et la promouvoir, réfléchir sur le lancement d’alerte et le rôle de celles et ceux qui la déclenchent, indique la présentation. « C’est l’occasion de faire connaître leur situation, les risques qu’ils prennent aujourd’hui, estime Éric Alt, magistrat et vice-président de l’association citoyenne de lutte contre la corruption Anticor. C’est aussi le moment de réfléchir à une protection effective pour les lanceurs d’alerte. La législation est très disparate, il faudrait une loi qui organise cette protection, que le défenseur des droits s’en saisisse, et que l’on crée des sanctions pour ceux qui pratiquent la rétorsion des lanceurs d’alerte. » Droit à la protection de ceux qui dénoncent des infractions, droit de résistance à l’oppression… l’enjeu, c’est l’émergence d’un pouvoir citoyen. « Alerte citoyenne ou Nimby (Not in my back yard) ? » sera l’un des thèmes débattus au Salon. De nombreux lanceurs d’alerte tombent sous le coup de la justice : Antoine Deltour est poursuivi par la justice luxembourgeoise pour « violation du secret des affaires ». Séverine Tessier, cofondatrice d’Anticor avec l’ex-juge d’instruction Éric Halphen et Jean-Christophe Picard, est accusée de diffamation pour ses propos concernant les emprunts toxiques de la ville de Nice [^2]. Entre la banalisation de l’affairisme d’une part, et la protection du secret des affaires d’autre part, « nous sommes à un tournant », selon elle. « L’intérêt général se délite, les intérêts privés et politiques s’affirment et nos institutions sont mises sous tension. Les alertes naissent de leurs défaillances… » Crédulité ou corruption ? Dans son livre, elle n’hésite pas à parler de « corruption institutionnalisée »  : « Conflits d’intérêts, réseaux d’influences, voire liens avec des formes de criminalité, les affaires révélées par les lanceurs d’alerte mettent en évidence des disfonctionnements. Reconnaître leur rôle participe de la reconstruction de notre démocratie. » « Il s’agirait de substituer une culture de la transparence à cette culture de la peur », ajoute Éric Alt. Ne pas tomber dans le « grand déballage », ni la « gadgétisation » de l’alerte, précisent-ils, mais parvenir à un fonctionnement que d’autres pays ont mis en place, comme le Canada, où il existe un tribunal pour les lanceurs d’alerte.

« Dénoncer la corruption, éthique ou délation ? », interroge le Salon. Pourquoi pas un numéro vert pour réceptionner les alertes et permettre de rester dans l’anonymat ? Puis une haute autorité, constituée également de citoyens et qui serait chargée d’enquêtes indépendantes sur le contenu des alertes ? Peut-être aussi un statut de témoin anonyme ou de collaborateur de justice, comme il en existe en Italie ? La directive européenne sur le secret des affaires, sur laquelle un regroupement d’associations interpellera François Hollande le 16 novembre ^3, aurait-elle empêché Antoine Deltour de divulguer des documents sur les accords secrets passés entre le cabinet de conseil PriceWaterhouseCoopers, 340 multinationales et l’administration luxembourgeoise ? « Non, évalue-t-il. Car la sanction existe déjà dans la justice luxembourgeoise et je savais en copiant ces documents et en répondant à la demande d’un journaliste de les publier que je me mettais en situation de désobéissance. Ce que je n’avais pas mesuré, c’était l’ampleur des conséquences professionnelles et personnelles. » Antoine Deltour a reçu le prix du citoyen européen 2015. Une consécration. Mais combien de lanceurs d’alerte vivent dans la peur et l’isolement ? Et combien renoncent ?

[^2]: Lutter contre la corruption. À la conquête d’un nouveau pouvoir citoyen, Séverine Tissier, éd. François Bourin, 2015.

[^3]: www.stoptradesecrets.fr

Société Police / Justice
Temps de lecture : 4 minutes

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