Climat : Aux sources d’une triple impuissance

Réchauffement, stagnation et inégalités ont les mêmes causes.

Gérard Duménil  • 16 décembre 2015 abonné·es

La tenue de la COP 21 à Paris n’a pas manqué de nourrir les titres de la grande presse malgré la concurrence des attentats et l’imminence des élections régionales en France. Ceux qui en doutaient le savent maintenant : le seuil des 2 °C de réchauffement sera dépassé. On se souviendra de la controverse qui avait entouré, fin 2014, le retrait du rapport du Giec de deux pages de synthèse dont la clarté avait choqué les gouvernements. Le scandale fut révélé par le Washington Post  [^2]. L’article signalait sans ambiguïtés que ce sont bien les experts qui écrivent les rapports, mais que « les gouvernements les approuvent ». Il aura suffi d’un an pour qu’à Paris le voile dérisoire se soulève. Mais cela n’implique en rien que les mesures requises seront prises.

On peut être frappé par la coïncidence d’un autre thème dans les mêmes pages, celui de la lenteur de la croissance aux États-Unis et en Europe, en France en particulier. Je ne m’étendrai pas ici sur la juxtaposition paradoxale du thème du réchauffement climatique et de la déploration de l’épuisement de cette même croissance ! Aux États-Unis, le débat fait rage concernant la « longue stagnation », à savoir l’absence de perspectives de croissance autres que très modestes. Référence est généralement faite à l’article de 2012 de Robert Gordon, « La croissance économique des États-Unis est-elle terminée ? [^3] ». L’émoi est créé par le constat que les performances liées au boom des nouvelles technologies dans les années 1990 ont été éphémères. La même grande presse, notamment française, pourrait faire un retour sur les articles qu’elle publiait au cours de cette décennie, écrits par des économistes s’émerveillant des perspectives qu’ouvrait la « nouvelle économie » ! Tout serait pourtant mis en œuvre aujourd’hui pour ressusciter la croissance : la banque centrale des États-Unis ne relève pas ses taux d’intérêt, Mario Draghi ferait tout pour soutenir la zone euro, le plan Juncker (315 milliards d’investissements) verrait le jour, etc. Rien n’y fait.

J’en viens au troisième thème. Il y a encore peu de temps, la même presse était pleine du constat des inégalités et de leur augmentation. Ces inégalités ont explosé aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis quelques décennies et, comble de l’horreur, des pays comme la France et l’Allemagne s’engagent sur la même voie. Vient donc la question que cette presse ne posera jamais : « Qu’y a-t-il de commun au réchauffement climatique, à la stagnation dans les vieux pays du centre et à la croissance des inégalités ? Ou, pour mettre sur la voie ceux qui n’y seraient pas, quelles sont les forces qui s’opposent à la résolution de la crise écologique ? Quelles sont celles qui commandent la stagnation de la production et la croissance des inégalités ? » Réponse : les mêmes, à savoir ces classes sociales de propriétaires capitalistes et leurs alliés, les cadres du haut des hiérarchies qui paralysent l’action concertée des êtres humains visant à reprendre en main leur destin commun dans un même projet de survie et d’émancipation. Ce n’est peut-être pas évident, puisque les grands médias semblent l’ignorer.

[^2]: « Why two crucial pages were left out of the latest U. N. climate report », The Washington Post, 4 novembre 2014.

[^3]: National Bureau of Economic Research, Working paper n° 18 315.

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