Le souffle Foucault

Michel Foucault entre dans la Pléiade. Quand bien même le philosophe avait désacralisé la notion d’œuvre.

Olivier Doubre  • 2 décembre 2015 abonné·es
Le souffle Foucault
Œuvres (2 vol.), Michel Foucault , sous la dir. de Frédéric Gros, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 712 p. et 1 792 p., 65 euros le volume (59,50 euros, jusqu’au 28 février 2016).

Dans son Abécédaire, diffusé, selon sa propre décision, après sa mort, Gilles Deleuze indique l’objet de la philosophie : « Créer, inventer des concepts. » Longtemps amis, engagés dans des combats communs (notamment au sein du Groupe informations prisons), Foucault et Deleuze pratiquaient une philosophie très différente. Non sans une profonde estime réciproque, Foucault déclarant dès 1970 qu’ « un jour, peut-être, le siècle [serait] deleuzien », puis Deleuze, à la mort de Foucault en juin 1984, lisant un vibrant éloge de son collègue avant de lui consacrer un livre simplement intitulé Foucault. Deleuze a tenté de penser le monde à venir, entre dématérialisation et réseaux rhizomiques ; Foucault, lui, « n’a pas inventé une nouvelle philosophie : il a inventé une nouvelle manière de faire de la philosophie », fouillant sans cesse le passé à travers d’innombrables archives. Il n’a « pas apporté une pierre de plus à l’édifice vénérable et cloisonné de la pensée : il a bouleversé son paysage, il a rendu poreux des partages disciplinaires qu’on croyait définitifs », affirme Frédéric Gros, qui a dirigé cette entrée de Foucault dans la Pléiade.

Il y a quelque chose d’étonnant dans le fait de présenter ainsi l’œuvre du philosophe, alors que ses écrits sont rassemblés dans une collection qui, on le sait, a un caractère de consécration définitive comme « classique ». C’est que Foucault ne cessa de « réélaborer des notions », et en premier lieu celles d’œuvre et d’auteur, préférant analyser l’évolution de leurs « fonctions » respectives, qui « changent de forme selon la nature des discours et les époques ». Il n’en reste pas moins que cette édition offre un panorama complet [^2] des ouvrages parus du vivant de celui qui avait indiqué dans son testament : « Pas de publication posthume. » Même si ses articles, conférences, préfaces ou entretiens ont été rassemblés dix ans après sa mort, dans les volumes intitulés Dits et écrits, marquant une nouvelle génération qui découvrait alors « l’auteur » Foucault. Depuis, comme le rappelle Frédéric Gros, « ses livres ont créé, dans la pensée occidentale, des points de passage obligés »  : impossible désormais de parler de la prison sans revenir à Surveiller et punir, ou de la sexualité sans la Volonté de savoir … Mieux, refusant « toute spécialisation » – ce qui inquiétait « les garants des disciplines classiques (vrais philosophes, historiens rigoureux) »  –, Foucault a pris une part majeure, avec Deleuze et Derrida, notamment, dans « ce moment critique français des années 1960-1970 » dont la production est aujourd’hui qualifiée par les Anglo-Saxons de French Theory. Et, peut-être plus que tout autre, il a fait « passer dans la recherche un souffle », ouvrant à de nouveaux champs.

[^2]: Augmenté d’une chronologie établie par Daniel Defert, qui partagea la vie du philosophe.

Idées
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