La lutte très classe d’un bidouilleur

À 19 ans, il menait la campagne numérique d’Eva Joly pour la présidentielle de 2012. Aujourd’hui, Elliot Lepers multiplie les actions militantes sur le Web. Avec succès.

Jean-Claude Renard  • 6 avril 2016 abonné·es
La lutte très classe d’un bidouilleur
© Edouard Ducos

« Loi travail : non merci ! » Pas moins d’1,3 million de personnes ont déjà signé cette pétition lancée le 19 février. Le meilleur score depuis la création de change.org. Derrière cet appel, quelques personnalités, comme Caroline De Haas, féministe, ex-militante au PS, William Martinet, président de l’Unef, et un presque gamin de 24 ans, Elliot Lepers.

« Quand on a reçu le projet de loi, on était effarés, confie le jeune homme dans son antre baptisé Le Tank, un espace post-moderne et coloré de coworking, situé près de la -Bastille, à Paris. Il fallait réagir rapidement. On a donc construit une équipe pour apporter une expertise sur ces mesures. Il fallait être pédagogique. Là, on est dans un contexte particulier, après quatre ans d’un quinquennat incompréhensible, dans une répétition de renoncements qui créent un embrasement. Le travail est aussi un sujet de mobilisation traditionnelle, presque un réflexe en France. Ça parle à tout le monde. Finalement, on peut s’étonner que le rejet à l’égard de François Hollande ait pris autant de temps… »

Un rejet massif qu’on observe donc sur la Toile comme dans les manifs. Mais, en matière de mobilisations, faut-il voir une différence entre la rue et une pétition sur Internet ? « Les usages sont différents, c’est tout,relève Elliot Lepers. Ce ne sont peut-être pas les mêmes personnes qui signent et qui manifestent. L’engagement sur une pétition est une question de secondes, être dans la rue, poser une journée de grève, c’est différent. Si les deux mouvements sont complémentaires, la mobilisation 2.0 est l’appropriation des usages du Web, qui renverse la relation au pouvoir, à l’autorité. On n’a plus le même respect de la verticalité qu’auparavant. Il faut se féliciter de cette expression nouvelle qui peut exister sans avoir besoin d’une -tribune, d’une légitimité avec une étiquette. Plus d’expression, ce n’est pas néfaste. Et plus de politique, c’est ça qui m’intéresse ! »

Déjà dessalé, Elliot Lepers, sûrement pas désabusé, et des années de politique dans la musette, cornaqué très tôt à la lutte, aux responsabilités, aux initiatives originales. Une habitude chez ce frais diplômé des Arts Déco. En CM2, il se souvient d’avoir mené sa première révolte parce qu’il refusait de voir partir à la poubelle les cageots de produits non consommés à la cantine, pétitionnant pour expédier ces surplus alimentaires au profit des SDF. Au collège et au lycée, pas une année sans qu’il soit délégué de classe. Ce n’est qu’un début.

À 18 ans, en 2010, sitôt majeur, ou plutôt sitôt sa « carte bancaire en poche », il adhère à Europe Écologie-Les Verts. « Je le dois à Daniel Cohn-Bendit, après l’avoir entendu définir l’écologie politique. Avant, j’avais une vision caricaturale de l’écolo, celui qui refuse le nucléaire et mange du tofu ! Avec lui, j’ai saisi la cohérence sociale et environnementale portée par l’écologie. »

À peine encarté, Elliot entre dans le groupe des « écolos geek ». Et tout s’accélère. En décembre 2011, il est chargé de la campagne numérique d’Eva Joly pour la présidentielle 2012, au titre de « directeur artistique ». « Cela s’est fait simplement, se rappelle l’ancienne candidate. Je l’ai rencontré dans un café. Il avait toujours plein d’idées, avec une conscience politique très mature. C’est un créatif, très travailleur. Sa jeunesse était rafraîchissante, mais je me faisais du souci parce qu’il n’avait pas fini ses études et consacrait beaucoup de temps à ma campagne. » Une campagne durant laquelle il croise Julien Bayou, actuel porte-parole national des Verts. Le gimmick des lunettes rouges puis vertes, c’est eux. Les petits films humoristiques aussi. « C’était une candidate inspirante, dit aujourd’hui l’ex-directeur artistique. Ça donnait envie de se lâcher, et son parcours atypique aide beaucoup. »

Parallèlement à l’exercice, et à la suite d’une petite annonce, il anime une émission sur Canal+, « L’œil de Links », portant sur l’actualité créative du Web. Non sans retour critique sur la télé, a fortiori. « On n’était déjà plus dans l’esprit Canal, ça se sentait. Finalement, aujourd’hui, la chaîne est à l’image de toutes les autres, vidée de tout sens, de toute poche originale, sans audace, pour finir par ressembler à de la pub. » Le môme Lepers à la télé ? Cela renvoie forcément à son père, John Paul, successivement à TF1, Canal et France Télé, et maintenant à Arte. Mais pas seulement. Sa mère est aussi journaliste, tandis que la frangine pige à Europe 1. Famille de journalistes ? Du tout.

Après la présidentielle, Elliot revient à ses chères études, ou plutôt les poursuit. Parce que tout est affaire de parallèles, chez lui. S’il a hésité entre Sciences Po et les Arts Déco, il a choisi la seconde. « J’avais surtout envie de faire fonctionner le système, et non pas de le questionner. Il me semblait pouvoir être plus libre dans une école d’art. » La scolarité n’en reste pas moins compliquée : le jeune homme se mêle beaucoup de politique, au grand dam de la direction. En 2011, il participe à toutes les manifestations au sein de l’établissement, contre sa vision gestionnaire, les restrictions budgétaires, les partenariats public-privé, « globalement, contre la fin de la transdisciplinarité qui fait l’identité de cette école, dont le seul mot d’ordre est l’excellence, mais au détriment de l’utilité sociale de la création, et sans projet pédagogique ». Avec quelques autres étudiants, il organise une « grève créative », deux semaines durant, mobilisant 150 des 500 étudiants inscrits pour monter différents projets artistiques, suivre des cours sur l’insurrection et l’art engagé, avec le soutien des enseignants. « C’est le moment dans ma scolarité où j’ai le plus appris ! », s’enthousiasme encore Elliot.

L’initiative ne s’arrête pas là. Son dada, sa marotte, c’est de créer des sites, des plateformes. Elles s’additionnent depuis 2013. « C’est le champ des possibles, en toute liberté ! » À commencer par « 343 connards.fr », résolument antisexiste, pour répondre au manifeste des « 343 salauds autoproclamés ». L’occasion de rencontrer Caroline De Haas. Ensemble, ils vont monter d’autres plateformes. « C’est quelqu’un de très sain, dit-elle de lui, pas tordu comme beaucoup de gens qu’on rencontre en politique. Et très exigeant sur -l’esthétisme. C’est sa façon de voir la politique : on ne peut pas changer le monde en faisant moche ! »

Dans la foulée, tous deux vont créer « macholand.fr », derechef contre le sexisme, le « référendum-gauche.com », pour une gauche menant une politique de gauche, « gueule de bois.fr », plateforme de réflexions citoyennes propice à accueillir les idées progressistes (du non-cumul des mandats à la défense du planning familial, du refus de la déchéance de nationalité au revenu de base), jusqu’à monter cette fameuse pétition contre la loi travail.

S’il a quitté les Verts en 2015 – « parce qu’on ne me demandait rien, et que je ne servais à rien, parce que c’est un parti qui fonctionne mal avec les militants de base » –, Elliot Lepers ne s’arrête jamais. Le voilà maintenant à la tête d’une agence digitale (N.O.U.S.), accompagnant les mobilisations numériques pour des ONG ou des associations, et d’un labo (CobbleCamp) tourné vers l’activisme numérique (pour de plus petites structures).

Un gars de son temps, dirait-on facilement. Mais qui refuse de se poser en porte-parole de la jeunesse connectée. Il avance avec ses convictions, son savoir-faire. Et entend maintenant enrichir des sites déjà bien développés : « Amazon Killer », une application permettant de rediriger les clients du site américain vers la librairie la plus proche, et « 90 Jours », ou comment devenir écolo en trois mois à coups de petits gestes utiles. Au diapason d’un jeune garçon qui se dit « bidouilleur » avant tout, et déplore le « tous pourris » et la résignation, « parce qu’on a les moyens de reprendre le pouvoir. La politique, ça se pratique au quotidien ».

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