BDS : Incohérences françaises

Alors qu’Israël rejette déjà l’initiative de la France pour relancer le processus de paix, le gouvernement criminalise les appels au boycott qui font pression sur l’État hébreu.

Denis Sieffert  • 11 mai 2016 abonné·es
BDS : Incohérences françaises
© MICHEL EULER/AFP

Il en va de la position française dans le conflit israélo-palestinien comme de beaucoup d’autres sujets : c’est le règne de la confusion. Alors que l’ancien ministre des Affaires étrangères, -Laurent Fabius, avait obtenu de haute lutte un vote favorable de la France pour reconnaître à la Palestine un statut d’observateur à l’ONU, et alors que le même Laurent Fabius est à l’origine d’une nouvelle initiative de conférence internationale, la traque se poursuit contre les associations qui appellent au boycott des produits israéliens. Comme si toute pression exercée sur Israël devait être interdite, alors même que l’État hébreu rejette les unes après les autres les tentatives de relance du processus de paix.

En fait, il apparaît clairement qu’il y a plusieurs « lignes » au sein du gouvernement. Quand le Quai d’Orsay, à présent dirigé par Jean-Marc Ayrault, développe – avec plus ou moins de conviction – son projet de conférence, le Premier ministre, Manuel Valls, menace les associations qui appellent au boycott pour amener Israël à se conformer au droit international. Comme si le ministère des Affaires étrangères et Matignon ne poursuivaient pas les mêmes objectifs.

Les « Douze » de Mulhouse

L’affaire de Mulhouse ressemble déjà à un long feuilleton judiciaire. Les 26 septembre 2009 et 22 mai 2010, douze militants du Collectif Palestine-68 manifestent dans les locaux commerciaux du magasin Carrefour à Illzach, près de Mulhouse : tee-shirts et tracts hostiles à la politique d’Israël et appel au boycott des produits israéliens. Mais aucune violence ni aucun préjudice matériel ne sont constatés. Interpellés, les militants sont cités à comparaître pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine nationale ».

Au terme du procès, le 20 octobre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par les militants contre deux arrêts de la Cour d’appel de Colmar les condamnant à 24 000 euros d’amende avec sursis, et 28 000 euros de dommages-intérêts et de frais de procédure. C’est, à ce jour, le jugement le plus sévère rendu contre des militants de BDS. L’affaire a été portée le 18 mars 2016 devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de leur liberté d’expression.

Le Premier ministre redouble d’attaques contre les « antisionistes » et les militants de BDS. Le 7 mars, il a créé la polémique en affirmant, lors du dîner annuel du Crif, qu’« antisionisme était synonyme d’antisémitisme et de haine d’Israël ». Que l’accusation ait été lancée devant le Crif, véritable courroie de transmission du gouvernement israélien au sein de la société française, n’est évidemment pas indifférent. La formule n’est en effet que la simple reprise de la propagande du gouvernement israélien.

Le 18 janvier déjà, cette fois devant les Amis du Crif, Manuel Valls avait menacé les associations à l’initiative du mouvement BDS en France : « Je pense que les pouvoirs publics doivent changer d’attitude vis-à-vis de ce type de manifestations », avait-il lancé, avant d’avoir cette formulation ambiguë : « Nous allons prendre des dispositifsmais toujours dans l’État de droitqui doivent montrer que ça suffit, et qu’on ne peut pas tout se permettre dans notre pays. »

En fait, Manuel Valls marche dans les pas du gouvernement Sarkozy. Le 12 février 2010, Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux, avait ouvert les hostilités en faisant adopter, sous la plume de son directeur des affaires criminelles, une circulaire intitulée « Procédures faisant suite à des appels au boycott des produits israéliens ». Des juristes ont immédiatement souligné la singularité d’un texte qui vient en défense exclusive d’Israël. Par la suite, une seconde circulaire du même tonneau sera adoptée par le successeur de Michèle Alliot-Marie place Vendôme, Michel Mercier.

Depuis cinq ans, plus d’une centaine de militants associatifs ont fait l’objet de procédures de police, et une quarantaine ont été poursuivis (voir encadré). Mais les décisions de justice sont très contradictoires, et les relaxes nombreuses. Il n’empêche que l’argumentaire de la circulaire a un caractère infamant puisque l’appel au boycott est assimilé à une provocation à la discrimination « à raison de l’appartenance d’une ou plusieurs personnes à une nation ».

En octobre 2015, un arrêt de la Cour de cassation a confirmé un jugement qui s’appuyait précisément sur ce chef d’accusation. Mais la bataille juridique continue. L’avocat du BDS, Antoine Comte, entend porter le débat devant la Cour européenne des droits de l’homme pour « violation de la liberté d’expression ». Me Comte souligne que les appels au boycott « visent des produits et non des personnes » et qu’ils font partie « d’une critique pacifique de la politique d’un État relevant du libre jeu du débat politique, au cœur de la notion de société démocratique ». Un argumentaire pas très éloigné de celui de Jean-Jacques Urvoas, qui, le 20 novembre dernier, alors qu’il était encore président de la Commission des lois à l’Assemblée, estimait que « l’incitation à punir ce militantisme [les appels au boycott] constitue une atteinte à la démocratie et aux libertés fondamentales ». Ministre de la Justice, tiendra-t-il le même discours ?

Malgré les intimidations, la campagne BDS continue de se développer en France et dans le monde. Elle a connu quelques succès spectaculaires en ce qui concerne les appels au « désinvestissement » d’entreprises françaises. Selon les organisateurs de BDS, la rupture entre Orange et la société israélienne Partners Communication et le retrait total de Veolia du marché israélien doivent être portés au crédit de la campagne. Tout comme les sanctions qui ont frappé la société israélienne d’agro-alimentaire Agrexco, contrainte de quitter le port de Sète et mise en liquidation, et le boycott de la firme Sodastream, qui a dû se retirer de plusieurs manifestations dont elle était partenaire, notamment le festival de BD d’Angoulême. La multinationale israélienne, spécialisée dans les boissons gazeuses, a dû, en 2013, transférer en Israël sa principale unité de production, qui était située dans la colonie de Ma’ale Adumim, en Cisjordanie occupée. Il s’ensuivit une polémique à propos des travailleurs palestiniens employés par la firme. Le gouvernement israélien a refusé une autorisation de travail sur le sol israélien à 74 employés, qui ont été licenciés. L’affaire a servi d’argument à la direction pour montrer les « méfaits » du boycott. Cela a même fait les choux gras d’un journal de France 2, qui a semblé soudain s’intéresser à la campagne BDS sous le seul angle du préjudice qu’elle porterait… aux Palestiniens. Un argument qui peut mener loin : des ouvriers palestiniens sont aussi utilisés pour des -constructions dans les colonies. Cela doit-il justifier la colonisation, alors qu’on imagine qu’il y aurait pour eux beaucoup de travail dans un État palestinien à fonder ?

La réfutation des arguments les plus spécieux fait aussi partie de la bataille de BDS pour conquérir une opinion qui se mobilise surtout dans les périodes d’offensive militaire israélienne. La plus grande difficulté, pour BDS, c’est le lobbying mené par le Crif dans la sphère politique. L’un des problèmes soulignés par Jean-Guy Greilsamer, l’un des porte-parole de l’Union française juive pour la paix, une organisation engagée dans la campagne BDS, c’est que « le gouvernement reconnaît le Crif comme seule organisation représentative de la communauté juive ». Ce qui est très loin de refléter la réalité. D’autant que, depuis une vingtaine d’années, le Crif, dont les dirigeants sont très à droite dans le paysage politique français, est plus pro-israélien que l’ambassadeur d’Israël… Ce qui fait que les politiques français, et non des moindres, qui se pressent aux dîners de cette organisation pour dire ce que l’assistance veut entendre, font fidèlement écho au discours de M. Netanyahou. En poursuivant toujours un seul but : assimiler le boycott à l’anti-sémitisme. Dans cette voie, c’est tout de même Michèle Alliot-Marie qui a fait le plus fort. En février 2010, et toujours au cours d’un dîner du Crif, la ministre de Nicolas Sarkozy avait notamment affirmé que les appels au boycott visaient des produits « au motif qu’ils sont casher ». Six ans plus tard, l’assimilation, par Manuel Valls, de l’antisionisme à un antisémitisme se situe dans le même registre.

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