Manif du 23 juin : les demandes inouïes de la préfecture aux syndicats

Les autorités ont demandé aux syndicats organisateurs de suppléer les forces de l’ordre dans le contrôle de la manifestation.

Erwan Manac'h  • 22 juin 2016
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Manif du 23 juin : les demandes inouïes de la préfecture aux syndicats
© Photo : Alexandre Resende / Hans Lucas

Un temps interdite, la manifestation parisienne contre la loi travail aura bien lieu, jeudi 23 juin, confinée sur « un circuit extrêmement court », selon les termes de Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur.

Les représentants des unions régionales de FO, la CGT, FSU et Solidaires ont rencontré mercredi après-midi le préfet de police pour organiser la manifestation. Selon des syndicalistes présents sur place, ce dernier leur a soumis un document listant plusieurs préconisations en matière de sécurité. « Il voulait qu’on s’engage à gérer nous-mêmes la sécurité », raconte Thierry Lecaut, représentant de Solidaires Île-de-France lors de cette réunion.

Les autorités auraient ainsi demandé aux syndicats d’assister la police dans la fouille des sacs des manifestants. Selon cette même source, il leur a également été demandé de sécuriser une série de lieux considérés comme sensibles, le long du parcours, comme le commissariat du 4e arrondissement ou des locaux appartenant à la RATP.

Les quatre syndicats organisateurs ont refusé ces conditions et se sont contentés de parapher une déclaration de parcours dans sa forme habituelle. « Ils étaient très exigeants et renvoient la responsabilité de tout ce qui se passe dans les manifs sur les syndicats, déplore Thierry Lescaut. Ils ont envie de bien nous montrer que, s’il se passe quelque chose, c’est de notre faute. »

Une telle liste de recommandations avait déjà été proposée aux syndicats durant le mouvement d’opposition au Contrat première embauche, en 2006, se souvient Pascal Joly secrétaire général de l’Union régionale CGT d’Île-de-France. « C’est une façon de peser sur les organisateurs et de nous mettre la pression. Mais le maintien de l’ordre public doit rester du domaine de la police », réagit le syndicaliste.

La manifestation « partira » à 14 heures de la place de la Bastille pour faire un tour du bassin de l’Arsenal et revenir sur la place. Au total, 1,8 kilomètres de parcours qui devraient être rapidement saturés. « À sa façon, le gouvernement nous a fait une bonne publicité. Vu les réactions qu’il a suscitées, on s’attend à une forte mobilisation », juge Pascal Joly.

La préfecture de Police a annoncé en fin d’après-midi la mobilisation de 2000 policiers et l’interdiction de manifester contre une centaine de personnes. Un périmètre de sécurité sera mis en place, sur un modèle similaire à celui des fan zones, avec des contrôles à l’entrée. Tous les véhicules présents sur la trajectoire seront également enlevés et un dispositif de retrait des bateaux du port de l’Arsenal est prévu pour ceux qui le souhaitent, a annoncé la préfecture au cours d’une conférence de presse.

Comment prévenir les débordements ?

Des débordements sont évidemment à prévoir. Ils ont émaillé toutes les manifestations depuis le début du mouvement contre la loi travail et l’attitude offensive de la police a installé des affrontements de plus en plus violents, regroupant une foule de plus en plus nombreuse qui s’installe – fait inédit – en tête de cortège.

Pour y faire face, la CGT prévoit un service d’ordre « renforcé », comme depuis plusieurs semaines dans les cortèges syndicaux, « pour protéger les manifestants », indique Philippe Martinez. Le Premier ministre Manuel Valls a d’ailleurs appelé mercredi devant l’Assemblée les organisateurs à « respecter leurs engagements » en matière de service d’ordre. Un moyen de mettre un peu plus la pression à la CGT et à FO qui sont tenus pour responsables des dégradations commises en marge de manifestations.

Bernard Cazeneuve prévient aussi que l’organisation des prochaines manifestations débutera après celle de ce jeudi. « J’appelle dans ce contexte les organisateurs à la responsabilité. Aucun débordement, aucune violence ne sera tolérée », a martelé le ministre de l’Intérieur. Autrement dit, le gouvernement agite la menace d’une nouvelle interdiction si la manifestation prévue demain venait à mal se passer. L’intersyndicale a toutefois obtenu un accord pour l’organisation de la manifestation le 28 juin prochain, dont le parcours n’a pas encore été arrêté.

Une manif statique ?

Gouvernement et syndicat se sont opposés depuis le début de semaine sur l’idée d’organiser une « manifestation statique », plus facile à encadrer selon le ministère de l’Intérieur. Les syndicats ont catégoriquement refusé cette idée, mais se sont pliés ce mercredi à la proposition d’un parcours extrêmement réduit, pour obtenir la levée de l’interdiction de manifester.

En cas de forte affluence, le parcours devrait être noir de monde et se transformer en manifestation statique. « La tête de cortège, elle, avancera et les manifestations classiques sont déjà en partie statiques », nuançait Jean-Claude Mailly, secrétaire national de Force ouvrière à l’issue de la conférence de presse de l’intersyndicale, mercredi midi à Montreuil.

« Ce n’est certes pas une manifestation gigantesque, mais l’important était le symbole. Il était important que nous puissions manifester », juge aussi Éric Beynel, porte-parole de Sud solidaires.

Le constat est toutefois sans appel pour le Syndicat de la magistrature, que la volte-face du gouvernement n’a pas amadoué. « La liberté de manifester est atteinte dans son existence même, quand les autorités prétendent d’abord l’enfermer dans des fan zones sous haut contrôle policier, l’interdire ensuite et finissent par concéder un parcours atrophié », déclare le syndicat dans un communiqué ce mercredi.

Politique Travail
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