Democraxit ?

Ce blocage est lourd de violences et de régression.

Geneviève Azam  • 6 juillet 2016 abonnés
Democraxit ?
© Photo : Jérémie Lusseau / Hans Lucas.

Abandon des Grecs aux normes de la finance, soumission des travailleurs à celles du Medef et de technocrates pantouflards, référendum sur mesure pour construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, initialement destiné à faire atterrir le Concorde (!), suites rocambolesques du Brexit, succès de Donald Trump aux primaires républicaines des États-Unis : la succession accélérée d’événements chaotiques n’a rien de fortuit. Elle signe assurément la fin d’un monde.

Le monde d’hier, pour une part des générations présentes, a été dessiné pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Il a été soutenu, dans les pays industriels, par une croissance économique forte et régulière, par une augmentation sans précédent de la productivité du travail, par une redistribution des gains de productivité. Les conquêtes sociales et l’amélioration de la situation matérielle des classes populaires ont placé la lutte politique sur le terrain du progrès économique, et donc de la croissance, qui semblait alors potentiellement infinie. La gauche était « progressiste » et contestait les forces de droite, incapables selon elle d’assurer le développement et la révolution des forces productives, à force de vouloir conserver leurs positions et assurer la sécurité de leurs privilèges. Elle était supposée incarner le mouvement permanent face à la stabilité ou à la réaction.

Le monde d’aujourd’hui a démarré dans les années 1970. Sur le plan économique, un des moments fondateurs fut l’institution du flottement des monnaies à partir de 1971 et l’abandon de parités stables et fixes. Cet événement annonce l’idéologie des classes dominantes : éloge de la flexibilité, du mouvement, de la révolution économique permanente. La théorie économique a avalisé ces tendances : apologie des processus autorégulateurs dans le désordre consenti du monde, incertitude comme fondement du monde et adaptation par la gestion des risques, société comme réseau d’informations mouvant composé de relations incertaines et réorganisées par le mécanisme des prix de marché, raison supplantée par une rationalité procédurale. Elle a emmené dans son sillage une part majeure de la gauche « progressiste », emportée par l’éloge du mouvement et du changement.

Dans ce monde-là, où l’état d’urgence devient la règle, la démocratie n’a pas de sens politique. Elle est réduite à des procédures mouvantes, au service de l’adaptation à un chaos essentialisé. S’est-on ému en haut lieu du fait que le barrage de Sivens ait été classé finalement comme illégal ? Et que la même chose pourrait advenir avec Notre-Dame-des-Landes ?

Ce monde-là est radicalement bloqué, face à lui-même, après avoir tenté d’absorber dans sa logique tout ce qui lui est extérieur, dans la société ou dans la nature. La prophétie de Margaret Thatcher se réalise : dans ce monde, il n’y a effectivement pas d’alternative. Ce blocage est lourd de violences et de régression démocratique. Le réveil que l’opposition à la loi travail suscite en France et le maintien d’une opposition concrète et résolue à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne sont pas des luttes désespérées, mais des germes d’autres mondes.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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