Accords de partenariat économique : l’unité africaine à l’épreuve des menaces européennes

Dans le cadre des « accords de partenariat économique » (APE), chaque pays est confronté à des problèmes et des calendriers différents.

Erwan Manac'h  • 31 août 2016 abonné·es
Accords de partenariat économique : l’unité africaine à l’épreuve des menaces européennes
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Offensive libérale sur l’Afrique

« Parler de gagnant-gagnant, c’est insulter les gens »


Afrique de l’Ouest (AO)

L’accord prévoit la suppression des droits de douane pour 75 % des produits européens d’ici à vingt ans. Les négociations se sont achevées le 10 juillet 2014 par la signature de 13 des 15 pays d’AO. Seuls le Nigeria et la Gambie n’ont pas encore signé. Le processus de ratification nécessite un vote des Parlements avant la mise en place de l’accord et il rencontre des obstacles importants.

Sénégal

Les 78 entreprises laitières craignent de devoir faire face à la concurrence du lait en poudre européen, aujourd’hui taxé à 5 %. Même inquiétude pour la filière de production d’oignons, qui s’est développée grâce aux quotas imposés sur les oignons importés. Forte opposition de la société civile et d’une partie de la classe politique.

Côte-d’Ivoire

Si l’UE rétablissait ses droits de douane sur ses importations, comme elle menaçait de le faire en cas d’échec des APE, l’industrie de transformation de cacao serait pénalisée, comme les exportations de bananes, qui subissent déjà la concurrence de l’Équateur. L’accord intérimaire ratifié le 11 août par l’Assemblée nationale prévoit une libéralisation de 81 % des produits en quinze ans.

Nigeria

Pays le plus peuplé d’Afrique et première économie du continent grâce à ses réserves de pétrole, le Nigeria craint de subir un coup d’arrêt dans son développement économique. L’industrie textile s’est déjà effondrée en raison de la concurrence chinoise et n’emploie même plus le dixième des 350 000 salariés d’il y a quelques années.

L’ouverture du pays aux marchandises européennes pourrait également pénaliser ses voisins. En cas de signature de l’APE, le Nigeria diminuerait sa consommation de produits en provenance du Mali (- 8,7 %), du Niger (- 5,7 %), du Ghana (- 5 %) et de Côte-d’Ivoire (- 4 %).

Selon le président de la commission internationale du Parlement européen, la date butoir du 1er octobre 2016 pourrait être reportée, et l’hypothèse de maintenir des tarifs douaniers avantageux au Nigeria (dits « SPG + »), même s’il ne ratifie pas l’APE, est envisagée.

Ghana

Les entreprises exportatrices de thon, de bananes, d’ananas et de cacao, qui pour la plupart ont leur maison-mère en Europe, ont fait pression pour l’adoption d’un APE intérimaire afin d’éviter que l’UE ne rétablisse des taxes. Selon une modélisation de 2008, l’APE provoquerait une hausse des importations de 34 % au Ghana.

Au début des années 2000, les importations de concentré de tomates italien (650 % en cinq ans), vendu moins cher que la tomate locale, avaient déjà anéanti la culture locale de tomates, pourtant florissante.

Un accord intérimaire a été ratifié par le ­Parlement le 3 août.

Burkina Faso

Les importations en provenance d’Europe ­augmenteraient, à terme, de 50 % et la suppression des droits de douane ferait perdre au pays un quart de ses recettes fiscales (Ifpri, 2016).

Centre

Les négociations patinent, malgré l’ultimatum fixé par la CE au 16 octobre.

Cameroun

Sous la pression européenne, le Cameroun a conclu, seul, un accord intérimaire avec l’Union européenne, entré en application le 4 août. Il prévoit une suppression de 80 % des droits de douane sur quinze ans. Le processus d’intégration régionale serait lourdement impacté si le Cameroun n’était pas suivi par ses voisins.

Selon une étude du ministère camerounais des Finances, « les pertes sur les recettes fiscales d’ici à 2023 sont estimées à 1330 milliards de Franc CFA (2,03 milliards d’euros) ».

Sud

L’accord de partenariat économique est appliqué depuis le 10 octobre 2016 dans les pays d’Afrique australe (l’Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland). Il prévoit une libéralisation de 74 % à 86 %, selon le pays concerné. Le Mozambique a engagé le processus de ratification de l’accord et sera partie à l’accord dès que la procédure aura abouti.

Afrique du Sud

L’accord intérimaire signé en 2009 est appliqué provisoirement depuis mai 2012. Il a fait l’objet d’un vote favorable du Parlement européen le 17 janvier 2013.

Afrique de l’Est

Le projet d’accord prévoit 83 % de libéralisation sur 25 ans, mais exclut 91 % des produits agricoles. La signature prévue le 18 juillet dernier a été annulée, car la Tanzanie a choisi de s’en dissocier, avec le soutien de l’Ouganda. Tous les pays de la CAE auraient dû signer en bloc les APE avec l’Union européenne avant le 2 février. Cette échéance est dépassée mais seul le Kenya a signé et ratifié cet accord, et le Rwanda est le seul autre pays à l’avoir simplement signé.

La Tanzanie a refusé de signer, estimant que ces accords auraient des conséquences graves pour ses recettes et pour la croissance de ses secteurs d’activité. L’Ouganda s’est engagé à signer le document mais insiste sur le fait que la Tanzanie soit d’abord impliquée.

Kenya

Le Kenya pourrait perdre son accès privilégié au marché européen s’il continue de s’opposer à l’accord, ce qui aurait un lourd impact sur sa filière de production de fleurs coupées, qui fait vivre 600 000 personnes et représente 25 % de l’économie du pays. La compétitivité de ses fleurs coupées est déjà mise à mal par les accords de libre-échange dont bénéficient certains exportateurs latino-américains avec l’Europe. Le Kenya tente donc de convaincre ses voisins, Ouganda et Tanzanie, de signer l’APE régionale.

Le Kenya et le Rwanda ont signé l’APE le 1er septembre 2016.

Régions de l’Est et du Sud

L’accord intérimaire signé en 2009 est appliqué provisoirement depuis mai 2012. Il a fait l’objet d’un vote favorable du Parlement européen le 17 janvier 2013.

Monde
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