Qu’est-ce qu’elle a, sa gueule ?

Un monologue tragique et drôle de Rémi De Vos sur la violence irrationnelle.

Gilles Costaz  • 31 août 2016 abonné·es
Qu’est-ce qu’elle a, sa gueule ?
© Photo : Simon Gosselin

C’est l’histoire d’un type qui n’a rien fait. Il est entré dans un bistrot, a commandé une bière et s’est trouvé pris à partie par un inconnu. Les insultes et les menaces pleuvent. Le buveur de bière voudrait protester de sa bonne foi. Mais l’inconnu martèle, fulmine, insulte. Le faciès de l’innocent assoiffé ne lui revient pas. Il le traite de « pédé » et poursuit son travail de marteau-piqueur. Le buveur ne comprend pas. La peur s’installe en lui. Tout un voyage mental se produit. Reviennent des souvenirs obscurs. Ce moment difficile pourrait mal finir. Il finira certainement mal…

Ce monologue d’à peine une heure, Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire, créé au Théâtre du Nord à Lille, repris à la Manufacture à Avignon, à présent en tournée, Rémi De Vos – un auteur à l’œuvre baraquée, il ne doit pas se laisser intimider dans les bars ! – l’a écrit pour le public jeune.

C’est un texte sur la violence irrationnelle. « Qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ? », dirait Hallyday. Ici, la gueule ne demande rien. Elle prend les coups et un homme assiste au déchaînement d’une imbécillité dont il est la victime. Ce pourrait être démonstratif, c’est magnifiquement intériorisé. C’est l’envers humain d’un fait divers. Chez De Vos, de Projection privée à Occident, d’Alpenstock à Trois Ruptures, il y a toujours de la violence, toujours passée au crible pour mieux tenter de l’arrêter.

Prenant pour acquise la fin tragique de l’amateur de bière – ce que De Vos suggère sans la donner pour certaine, nous semble-t-il –, -Christophe Rauck fait jouer la pièce à l’horizontale, couché ! C’est un mort qui nous parle et qui est joué par une actrice n’interprétant que des rôles masculins, Juliette Plumecocq-Mech.

La comédienne nous a souvent sidérés. Elle est là, plaquée au sol, ahurissante de tranquillité désespérée, comme réconfortée de pouvoir parler après avoir été aplatie par un rouleau compresseur. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette interprétation qui triture infiniment le sentiment d’incrédulité et la mise en scène de Christophe Rauck, suggérant sans images l’enfer de Dante et le troquet du coin, sur un fond musical emprunté aux sonates de Beethoven, sont d’une constante drôlerie. Le rire terrasse la bêtise. Pendant une heure.

Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire,Nest-Théâtre, Thionville, le 17 septembre, 03 82 82 14 92, puis Maubeuge (8 novembre).

Théâtre
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