Au Gabon, dix jours de chaos

Après des résultats officiels jugés peu crédibles, la contestation populaire de la réélection d’Ali Bongo a été violemment réprimée par le pouvoir, qui refuse tout nouveau décompte des voix.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 7 septembre 2016 abonné·es
Au Gabon, dix jours de chaos
© MARCO LONGARI/AFP

Pour les opposants au clan Bongo, l’élection présidentielle du 27 août était « l’une des plus attendues de l’histoire du pays ». Beaucoup entrevoyaient enfin l’occasion de « sanctionner par les urnes » le « clan », au pouvoir depuis près de cinquante ans. Mais l’espoir a été de courte durée. Formé au lendemain de la répression qui a suivi l’annonce de la réélection d’Ali Bongo, le collectif « Ceux qui disent non » relate les derniers événements qui ont ébranlé le pays. Retour sur une semaine dramatique. Et analyse d’une réaction française embarrassée.

Le 27 août, alors que des images des dépouillements semblaient donner Jean Ping, le candidat de l’opposition, vainqueur, le porte-parole du gouvernement, Alain-Claude Bilie By Nze, fait une déclaration qui éveille immédiatement les soupçons. Il demande que chacun attende l’annonce officielle des résultats avant « de proclamer quoi que ce soit ». Mais il conclut son propos par… des félicitations à Ali Bongo Ondimba pour « son second mandat ». Cherchez la contradiction.

Le 29 août, malgré l’absence de résultat officiel, les deux prétendants à la présidence se donnent vainqueurs deux jours après le vote. Mais le candidat de l’opposition dénonce pour la première fois « des -manipulations diverses […] orchestrées au sein de la Commission électorale nationale [Cénap] ». Mariya Gabriel, chef de la mission des observateurs de l’Union européenne, déplore « le manque de transparence des organes de gestion des élections », ajoutant que, durant la campagne officielle, « l’accès aux médias a été fortement déséquilibré en faveur du président sortant ». Ce même jour, les communications sont coupées ou deviennent difficiles. Les plus informés passent par des réseaux alternatifs pour continuer de communiquer.

Le 31 août, quatre jours après le vote, la Cénap annonce la victoire d’Ali Bongo Ondimba. Non sans préciser que celui-ci a recueilli un score exceptionnel dans sa -province d’origine, le Haut-Ogooué, avec un « taux de participation record de 99,93 % », « et un vote en sa faveur de 95 % ». Des chiffres qui apparaissent immédiatement suspects aux observateurs, alors que le taux de participation dans le reste du pays est estimé à 59,46 %. L’opposition parle de « violation de la liberté d’expression dans les urnes », et demande l’organisation d’un nouveau décompte des voix. Comme les contestataires gabonais, les États-Unis et l’Union européenne ont eux aussi demandé la publication des résultats des 2 500 bureaux de vote. Une requête refusée par le pouvoir. « Les Gabonais ont espéré, pensant que, cette fois, on prendrait en compte leur choix dans les urnes et que le jeu de la démocratie serait plus fort que la soif du pouvoir du système en place depuis plus de cinquante ans », commentent les opposants. Des milliers de personnes descendent dans la rue pour contester les résultats officiels, révélés plus de 72 heures après le vote. Un délai contraire au règlement que la Cénap s’était elle-même fixé. Faisant fi du sentiment d’impuissance et de révolte, Ali Bongo se félicite d’une élection « exemplaire » tenue dans la « paix et la transparence », au moment même où le peuple gabonais réclame son départ.

En route vers le siège de la Commission, la foule, selon des témoins, est alors « stoppée par des forces armées qui lancent des bombes lacrymogènes et tirent à balles réelles, sommant chacun de regagner son domicile ». Mais la ville est sous tension. L’Assemblée nationale, pourtant protégée par des grilles, est incendiée par les manifestants en colère. Le collectif « Ceux qui disent non » parle de « milices étrangères et de patrouilles armées » qui sont entrées « dans les maisons pour procéder à des arrestations ». Le quartier général du principal opposant, Jean Ping, situé dans le quartier Charbonnages, à Libreville, est encerclé par les forces armées et des tirs sont entendus. Ailleurs, des activistes reconnus sont arrêtés. Dans les rues, les forces de l’ordre auraient, selon certains témoignages, aspergé les manifestants avec des jets d’acide. D’après le collectif, l’escalade de la violence conduit alors à de nombreux affrontements entre les opposants et les forces de l’ordre qui auraient coûté la vie à des centaines de personnes. Des chiffres invérifiables puisque « les forces armées récupèrent les corps pour les faire disparaître ». Plus de trois jours après l’annonce des résultats, un décompte officiel fait état de sept victimes. Dans la soirée qui a suivi l’annonce de la réélection d’Ali Bongo, Internet a été complètement coupé.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, appelle Ali Bongo et Jean Ping à tout faire pour que « cessent les actes de violences dans le pays ». Des pillages font craindre des pénuries de nourriture. Selon des témoignages, l’eau courante n’est plus potable, les services publics sont fermés et les vivres quasiment absents des étalages.

Le 5 septembre. Sans aucune explication du gouvernement sur une coupure qui aura duré près de cinq jours, Internet est partiellement rétabli à Libreville. Ce même jour, alors que le calme semble être revenu dans la capitale, des dizaines de personnes se réunissent devant le palais de justice dans l’espoir d’obtenir des nouvelles d’un proche introuvable depuis le 31 août. Si certaines personnes arrêtées ont finalement été libérées, des centaines d’autres seraient « encore retenues dans des lieux tenus secrets ».

Le 6 septembre. L’opposant Jean Ping appelle à la grève générale jusqu’à un nouveau décompte des voix.

Près de dix jours après le vote, le pouvoir continue de refuser tout recomptage des voix, arguant qu’une telle mesure n’est pas prévue par la loi. Lundi, Séraphin Moundounga, ministre de la Justice, qui l’avait réclamé, annonce sa démission du Parti démocratique gabonais, le parti au pouvoir, en même temps que de ses fonctions de ministre. La France, qui restait ce mardi sans nouvelles d’une quinzaine de ses ressortissants, a réitéré sa demande d’un « processus électoral clair ». Évoquant des « contestations » et des « doutes » appuyés par les observateurs de terrain, le Premier ministre Manuel Valls a estimé que « la sagesse commanderait de faire un nouveau décompte des résultats ». Une étrange modération face à l’évidence d’une fraude, au moins dans le Haut-Ogooué. La France est évidemment embarrassée. Les Bongo ont longtemps été les piliers de la Françafrique. Jusqu’en 1999, l’uranium du Haut-Ogooué était exploité par une filiale d’Areva. Et Total Gabon est le deuxième producteur de pétrole du pays, qui compte 120 entreprises françaises. Au nom d’intérêts bien compris, la France a toujours joué la carte du régime en place…

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